COUP DE COEUR
Fugue polonaise
de Beata de Robien
Béata de Robien travaillant dans son bureau |
La narratrice, Bashia, serait une
adolescente comme les autres, un peu rebelle, à la fois effarouchée et attirée
par l’amour et tous les gestes défendus, un peu amoureuse aussi de sa meilleure
amie de collège, si elle n’avait été Polonaise. Elle vivote au jour le jour
avec sa drôle de famille dans une Cracovie muselée, affamée, censurée par le
régime soviétique. Nous sommes en 1953, Staline vient de mourir mais l’étau ne
se desserre pas pour autant. Et le mépris des Russes à peine masqué pour les
Polonais ressemble bien à du racisme. C’est le règne du système D, depuis la
carpe engraissée dans la baignoire en vue du réveillon, jusqu’à l’obtention par
tous les moyens des indispensables tickets de rationnement. Quand Bashia rédige
pour un peu d’argent les différentes rédactions à la gloire du Parti pour ses
camarades, ce n’est pas encore trop grave, mais quand son amour pour un
Français pas vraiment recommandable la force à la délation, elle perd alors beaucoup
de son estime pour elle-même. Une mère disparue, un père alcoolique, une
grand-mère trop grande dame pour s’abaisser à faire des concessions, un oncle
génial mais presque autiste, un grand-père revenu in extremis d’un bagne
sibérien, des locataires farfelus, tels sont les ingrédients de Beata de Robien
pour faire revivre sa Pologne natale aux pires moments du communisme, même s’il
n’y a plus d’exécutions ou de déportations en séries. L’ambiance est plus
sournoise mais tout aussi malsaine qu’aux temps des ghettos sous les nazis. Et
pourtant Beata sait nous faire rire, nous émouvoir ou nous indigner, l’air de
rien, comme sans y toucher, avec le savoureux récit de sa drôle de Bashia qui
lui ressemble. Un style élégant et précis, un humour à fleur de peau, ce qui est
toujours le moyen le plus radical pour s’attaquer à la barbarie d'un système politique.
Albin Michel, 21,50E
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