CADEAUX DE NOËL


 
 

LE MARQUIS D'URCEE

LES ENQUETES D'HENRI DE SAMBREUIL

Isaure de Saint Pierre

 
 








 
 
Au détour d'un tournant jaillit la maison, découpe incongrue et blessante, adoucie pourtant par la nuit. Sur fond de ciel plus bleu que noir se profilait le profil capricieux de ses toits et de ses inutiles parures de zinc. Et ce manoir, qu'Henri de Sambreuil trouvait d'une laideur paisible en plein jour, lui parut nimbé de mystère et presque de beauté dans la nuit normande.
    Gilles avait dû entendre le crissement des roues de leur haquet sur les gravillons de l'allée. Il se tenait debout sur les marches du perron, bras croisés, à les attendre. Il vint les aider à descendre de la mauvaise voiture qui les avait menés là, Maxime de Beaulieu et lui-même, s'inclina devant eux et leur dit d'emblée :
   - Je crois que nous serons des amis.
   Henri et Maxime n'y voyaient pour leur part aucun inconvénient. Grand et mince, le visage buriné par le grand air, le regard très bleu et innocent, mais en même temps attentif, les cheveux coiffés en catogan en dépit de la mode actuelle, Henri de Sambreuil, lieutenant de police à l'Hôtel de Ville de Paris, venait d'être envoyé avec son ami Maxime de Beaulieu en mission en Normandie. On les avait chargés de se rendre compte des effectifs et des armements des troupes de Frotté, car le vicomte de Barras, le citoyen Barras comme il préférait désormais se faire appeler, l'homme fort de la Convention thermidorienne et le principal instrument de la chute de Robespierre, n'avait guère envie d'avoir une seconde Terreur blanche sur les bras. Maxime, plus petit, plus râblé que son ami, avait un visage de Christ blond et un physique plus saxon que celte. Gilles, quant à lui, était grand, un peu lourd, avec des cheveux bruns soigneusement lissés en arrière, un sourire qui insufflait de la chaleur à sa personne trop apprêtée en dépit de la carcasse presque rustaude. Il portait une culotte de soie puce et une veste de brocart par-dessus une chemise très fine, soulignée au col et aux poignets par des dentelles de Bruges d'un ton crème. Henri se dit que, même en chemise, il devait paraître peu naturel. Celui-ci ajouta d'une voix amicale, qui tentait de communiquer sa jovialité :
    - Olympe m'a beaucoup et souvent parlé de vous deux et spécialement de vous, M. de Sambreuil, puisque vous êtes son cousin. Je me suis même demandé si elle n'avait pas été un peu amoureuse de vous, autrefois...
    Olympe amoureuse ? Henri ne se la figurait pas ainsi. Elle était toujours si légère, si désinvolte, si aimablement à la page. Pour lui, l'amour devrait être chose grave, engendreuse de grands désordres. Ce sentiment dérangeant et compliqué ne lui paraissait pas entrer dans l'univers si délicatement sophistiqué d’Olympe. Peut-être pouvait-elle se dire amoureuse pour passer le temps, mais sans y croire tout à fait, un jour d'ennui, un jour de pluie ? De lui, elle ne l'était certainement pas. Il s'imaginait qu’elle ne pouvait aimer que des êtres plus tortueux, plus alambiqués qu'il n'aurait su l'être. Aussi se mit-il à rire doucement.
 


461 pages, 19E32 à commander sur Shop my Book


 
 

PETITS C RIMES

ENTRE INCROYABLES

ET MERVEILLEUSES

 

LES ENQUETES D'HENRI DE SAMBREUIL

 

            Isaure de Saint Pierre



 
Henri de Sambreuil jeta un coup d’œil mi-agacé, mi-attendri à Isabelle de Cérisieu, étalée dans le lit, bras jetés en travers des draps, l’obligeant à se blottir dans le coin le plus reculé pour lui échapper. Même endormie, même abandonnée dans le sommeil, elle prenait encore toute la place. Il se leva silencieusement. On ne pouvait dire qu’il parût ses vingt-neuf ans. En dépit d'un torse puissant, mais dénué d’une once de graisse, des épaules larges, des bras musclés de l'homme d'action, il avait gardé un visage presque enfantin. Ses yeux très noirs pouvaient refléter bien des passions. Pourtant, lorsqu'il souriait, c'était encore un tout jeune homme. Ses cheveux sombres, d'ordinaire lissés en arrière et noués en simple catogan, lui tombaient en ce moment librement sur les épaules. C’était vrai qu’il s’entretenait, prenant soin de son corps et de son apparence, ce qui l'amusait et l'incitait à se moquer de lui-même. Il y voyait une faiblesse, la peur de l’approche de l’âge et le désir éperdu de freiner son entrée dans le monde adulte, la crainte de se fixer, de faire à nouveau une fin, comme on dit, maintenant que sa toute jeune femme, morte en couches ainsi que l’enfant, n’était plus. C'était pour cette raison qu'il multipliait les conquêtes féminines, toujours amoureux, même et surtout s'il refusait de s'installer dans une liaison, qui l'aurait limité en l'empêchant d'aimer les autres femmes, toutes les autres…
          Il avait d'abord pensé que son univers s'était écroulé à la mort du roi, puis il avait dû constater avec surprise qu'il n'en était rien. En dépit des erreurs, des violences inutiles, du sang qui avait coulé à flot dans la France entière sous le règne despotique de la Terreur et de Robespierre, il avait aimé les idées nouvelles, leur générosité et leur utopie. Le vieux monde n'était plus et il fallait en construire un neuf. Malgré les errements et les aberrations, c'était une tâche exaltante. Et, s'il était souvent révolté par ce qu'il voyait depuis qu'il était devenu lieutenant de police de l'Hôtel de Ville de Paris, il aimait l'aventure que lui offrait cette charge. Il s'y croyait plus utile que lorsqu'il se trouvait encore dans son obscure petite ville de province, même s'il l'aimait, ou quand il était garde du corps auprès de la personne royale, à Versailles.
          Cette belle femme qu'il avait mise dans son lit, Henri de Sambreuil l'avait rencontrée depuis peu. A présent, la capitale était prise d'une telle frénésie de vie, de luxe, de rires et de plaisirs que les anciens préceptes de prudence et de bonnes mœurs n'y avaient plus cours. C'était son ami Pierre Simiot qui la lui avait présentée. Isabelle Manon, dame de Cérisieu, était la fille d'une comédienne d'un certain renom. Veuve très jeune, après à peine un an de mariage, son mari ayant disparu dans la tourmente révolutionnaire, sans doute sous le seul prétexte qu'il portait une particule, elle était revenue habiter chez sa mère. Là, elle jouissait d'appartements bien à elle et d'une grande liberté, puisque c'était elle qui faisait vivre la vieille comédienne. Elle était aussi la meilleure amie d'Anne Mac Laure, la nouvelle citoyenne Simiot.
          Henri savait son ami peu regardant quant au choix des moyens quand il s'agissait de réussite, ce qui l'avait toujours fasciné, lui qui n'était pas un  homme de pouvoir et se souciait peu de l'argent. Il savait aussi qu’il restait le pygmalion de sa très jeune femme. Elle n’était qu’un peu de glaise entre ses mains. Sans doute, la citoyenne Simiot ne détestait-elle pas être ainsi dominée. La renommée du grand éditeur parisien Pierre Simiot, son sens aigu des affaires et son absence de scrupules la servaient. Sans lui, son premier et pour l’instant unique roman, La mer était rouge, aurait probablement subi le sort de bien des livres, les meilleurs comme les plus mauvais, c'est-à-dire qu'il serait passé quasi inaperçu.
 
392 pages, 21E07 à commander sur Shop my Book
 

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