LE PETIT TIBET
Hémis, blotti dans une gorge |
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Le temps des prières |
On vénère les stupas |
Leh, le Petit Tibet sur la Route de la Soie
Situé à 3500 m d’altitude, sur la Route de la Soie reliant autrefois le Cachemire au Tibet, Leh, capitale du Ladakh, fut un temps oubliée, quand les Chinois annexèrent le Tibet et fermèrent cette route.
Le ladakh, terre de polyandrie
Leh revit aujourd’hui grâce à l’afflux des touristes, des Français surtout, qui viennent découvrir cette région encore sauvage, mais pour combien de temps, le paradis des trekkeurs. Ou pour avoir un aperçu du Tibet sans les Chinois…
Rattaché à l’Union Indienne qui le protège des velléités expansionnistes de la Chine, le Ladakh est officiellement relié à Srinagar par une vraie route, splendide d’ailleurs, de 500 km, soit dix bonnes heures de voyage sans compter les pépins toujours possibles. Si des tronçons sont goudronnés, d’autres sont encore de la piste, glissante quand il pleut. S’il neige, la route ferme. Surtout, la cohorte des camions Tata alimentant le Ladakh et les touristes en fuel et nourriture a souvent du mal à se croiser, ce qui engendre d’éprouvants embouteillages, l’un d’eux tombe en panne, sort de la piste…
Bref, l’arrivée en avion est plus sûre, mais moins pittoresque. Le gouvernement indien a fait doubler le cours de l’Indus, appelé Sind au Ladakh par un canal qui le longe, multipliant ainsi la surface cultivable où poussent bouleaux, saules et arbres fruitiers, blé, orge et légumes. Mais la vallée de Leh, vue par exemple du sommet d’un « gompa », les monastère servant aussi à l’occasion de postes de défense, n’est qu’un maigre serpent vert serpentant parmi sables et rocs, surmonté de hauts sommets. L’altitude moyenne est de 5300m pour une population de 100 000 habitants. Il y a aussi l’armée indienne, calme et bien vue des Ladakhis qui se sentent ainsi en sécurité, forte de 150 000 hommes… Pas de mousson ici, les pluies étant stoppées par l’Himalaya, mais une température pouvant descendre à – 30° durant le plus fort de l’hiver. La terre, aride en dehors des maigres zones irrigués, explique cette coutume de la polyandrie persistant au Ladakh. Pour ne pas partager les maigres propriétés, le bien va à l’aîné qui seul se marie, les cadets pouvant s’établir à son foyer et profiter de sa femme, les enfants étant à tout le monde. Ou bien un cadet devient l’époux d’une riche héritière et de ses sœurs.
Les moines aussi sont au spectacle |
Danseur au festival d'Hémis |
Le masque de la mort |
La cantine du monastère |
Le bouddhisme lamaïste
Parvenu trois siècles plus tard au Ladakh qu’au Tibet, le Ladakh est de religion bouddhiste lamaïque, partagé comme au Tibet en deux principales écoles, celle des Bonnets Jaunes ou Gelukpa à laquelle appartient le Dalaï-lama et celle des Bonnets Rouges, majoritaire au Bhoutan. Les lamas, semblables à nos moines du Moyen Âge jouent un rôle religieux, d’enseignant, de médecin en préparant des médicaments à base de plantes comme dans la médecine traditionnelle tibétaine, éventuellement de conseillers agricoles. Les moinillons entrent dans les écoles des lamas vers 5, 6 ans, mais ne sont pas forcément voués à la vie religieuse et peuvent retourner à la vie laïque s’ils ne prononcent pas leurs vœux. Il faut bien trente ans d’études pour devenir un grand lama, un maître réputé. C’est sans doute la difficulté des études qui est responsable de l’expansion de la religion musulmane au Ladakh, où l’on voit souvent une mosquée flamant neuf élevée non loin d’un antique gompa. Le gouvernement indien, conscient de détenir là un patrimoine historique de grande valeur, mais en mauvais état depuis l’installation des Chinois au Tibet et la fermeture de l’antique route de la soie reliant Leh à Lhassa et permettant le passage des caravanes, donc un afflux d’argent brutalement arrêté, a entrepris de grands travaux de restauration des divers palais royaux et des monastères aux admirables fresques. Ces restaurations, bien conduites et réalisées selon le mode de construction ladakhi, murs en pisée recouverts de chaux blanche ou teintée de rouge, charpente en cèdre de l’Himalaya, toits de lauze isolé par des séries de rondins juxtaposés, peintures aux pigments naturels, font revivre la superbe architecture du Ladakh dans sa pureté initiale.
Moine figurant un démon |
Moines musiciens |
Affrontement du Bien et du Mal |
De même, les antiques murs de mani croulant, portant l’inscription sacrée « Ôm Mani Padme Um », salut ô joyau dans la fleur de lotus (symbole de l’acte sexuel et donc de la création du monde) sont remontés à l’identique. Et les véritables forêts de chortens blanchis à la chaux, appelés aussi stupas, sortes de cônes contenant reliques ou texte saint, ont subis de savantes restaurations.
En revanche, la jeune génération ne porte plus la chuba, robe longue boutonnée sur le côté, souvent brodée, et la belle coiffe ressemblant à un haut de forme des femmes de Leh et préfère jeans et T-shirts. Même les vieilles ne sortent leurs vêtements traditionnels que les jours de fête.
Leh, un village montagnard devenu centre commercial
Pour qui a pu connaître Leh vingt ans plus tôt, le changement est déroutant. Du petit village de montagne surplombant l’Indus, où chaque arbre maigrichon avait son tronc entouré de boîtes de conserves pour le protéger de la voracité des yaks, aux maisons basses chaulées de blanc, aux étroites ruelles semblant écrasées par la masse vacillante du palais royal a succédé une vraie ville s’étendant jusqu’au fleuve. Les rues sont larges et goudronnées. Les maisons, heureusement bâties dans le style tibétain, ont deux, voire trois étages. Des boutiques d’artisanat proposent partout châles, tapis, coquillages sertis d’argent, colliers de corail ou de turquoise, parfois des antiquités provenant bien sûr de monastères... Bien des marchands viennent de Delhi. Là où l’on ne trouvait que de rustiques chambres sans chauffage à louer chez l’habitant fleurissent de jolies guesthouses ceintes de jardins regorgeant de roses, zinnias, dahlias et cosmos. Quand on ne pouvait manger que chez l’habitant, on a le choix entre une infinité de restaurants et gargotes. Partout, on entend parler français.
Comme dans tous les lieux touristiques de la planète, il suffit de s’éloigner du centre ville et de monter la côte escarpée menant au Palais Royal, vide et encore en travaux, pour retrouver l’antique Leh, ses petites maisons, ses ruelles ombragées, son bazar où ne vont guère les touristes, son marché de légumes où les vieilles vendent toujours leurs salades assises par terre, sans coiffes hélas, mais en agitant encore leur mani korlo ou moulins à prières. Trois petits monastères dépendent du Palais Royal. Ils sont modestes et parfois fermés à clef.
Au centre de la ville, là où naissent les rues neuves et leur agitation commerciale se dresse une élégante mosquée du XVII è siècle, bien sûr verte et blanche (les couleurs du Prophète). C’est là aussi que se rassemblent tous les ouvriers ou ouvriers agricoles ladakhis cherchant à se faire embaucher dans une ambiance animée. L’intérieur de la vaste salle de prières, peu fréquentée en dehors des heures de prières s’annonçant par voie de haut-parleurs est une forêt de deodars, les cèdres himalayens, sans autres ornements que les tapis.
Préparation des momos à la cantine |
Petite spectatrice en robe de fête |
Les belles coiffes de Leh |
En contrebas, on aperçoit le triple toit doré et incurvé en forme de pagode du Chokhang Vihara Temple, belle bâtisse moderne contenant à l’intérieur la profusion de statues et autels de prières chère aux bouddhistes. Des moines appartenant aux deux écoles viennent y psalmodier ou y chanter les offices, qui sont fort beaux.
La vallée de l’Indus et sa profusion de gompas
Respectant les principes de l’architecture tibétaine de forme rectangulaire, avec des toits plats et des ouvertures également rectangulaires, pour un public non averti, les gompa se ressemblent toutes. Et la différenciation entre les divers monastères érigés surtout le long de l’Indus est rendue d’autant plus difficile que l’on reconstruisait ou rénovait toujours à l’identique. Il y a en général une vaste cour centrale à colonnes aux murs ornés de fresques, représentant le plus souvent les gardiens titulaires du monastères, une salle principale de prières vouée à l’adoration d’une des réincarnation du Bouddha, Tara dans sa forme féminine ou Compassion, Bouddha Médecin, Bouddha du Présent et du Futur, mais aussi aux diverses réincarnation du Dalaï-lama, puis des chapelles secondaires consacrées au lama fondateur du monastère ou autres rimpoche ou maîtres.
Autrefois, on ne pouvait gagner ces monastères qu’à cheval ou à motos tout terrain. Pour traverser l’Indus, il n’y avait qu’un système de panier qu’on actionnait à la main pour le faire se déplacer le long du câble enjambant le fleuve. Petit inconvénient, une fois le panier arrivé sur l’autre rive, il n’y avait aucun moyen de le rapatrier, sinon d’attendre le passage d’un nouveau voyageur.
Aujourd’hui, les routes accédant aux principaux monastères sont goudronnées ou du moins élargies pour laisser passer taxis (environ 40 euros la journée) ou autres véhicules, trois ponts en dur franchissent l’Indus dans la région de Leh.
On peut ainsi visiter sur la rive droite en descendant le fleuve vers Karu, Choglamsar, son monastère haut perché et son village de réfugiés tibétains, Shey, sa colonie de chorten et son antique forteresse datant du XI è siècle, Thiksé et sa vieille ville intacte, Hemis, blotti dans un nid de verdure sur l’autre rive, l’un des plus actifs, Stakna datant du début du XVII è siècle, Matho qui comprend encore une centaine de moines, Stok et son musée d’objets de la cour. De là, on remonte vers le principal pont et Leh. Juste au sud et parallèle au cours de l’Indus, la chaîne de Stock-Matho comprend le plus haut sommet des environs de Leh, le Stok Kangri culminant à 6121 m.
Hemis et sa fête lamaïque de Tse-Chu
Le 31 juillet 2012 et pour quatre jours au moins aura lieu le Tse-Chu d’Hemis, la grande fête de Padmasambhava, fondateur du bouddhisme dans les régions himalayennes. Dans la vaste cour du monastère sur laquelle donnent des vérandas aux bois ouvragés où peuvent aussi se tenir les spectateurs, la foule est rassemblée, ladakhis et touristes. Les moines du monastère, coiffés de leurs grands bonnets de soie brochée s’époumonent dans leurs longues trompettes. C’est le signal du début du festival. De la porte principale, six moines aux masques représentant les démons de l’enfer tibétain, chaussés de bottes de feutre brodées et vêtus de longues robes de soie, s’affrontent en une danse bien rythmée par les gongs et les tambours. Ils tournent autour du chorten parant le centre de la cour. La danse s’accélère, les longues robes soyeuses tourbillonnent, les bottes frappent le sol de plus en plus vite. Puis la même porte laisse cette fois passer les forces du bien, qui affrontent bien sûr le mal. Le détail des péripéties de la mythologie lamaïque est connu de la foule qui retient son souffle. Les petits semblent en extase. Les vieilles femmes, parées de leurs plus rutilantes chuba et de leurs coiffes insolites font tourner inlassablement leurs moulins à prières.
Si les robes et les masques des moines diffèrent, les danses semblent assez vite répétitives aux occidentaux qui n’en comprennent guère la signification, mais le spectacle est partout et même hors de la cour centrale où a lieu le festival. Sous un dais, un moine entouré de deux disciples scande un mantra, un texte sacré, que l’auditoire de plus en plus nombreux répète après lui.
Ici, les ladakhis achètent à des marchands ambulant offrandes de fleurs et colliers de perles de couleurs pour les diverses divinités qu’ils veulent vénérer. Là, une vingtaine de tréteaux ont été dressés. C’est la cantine ! Pour dix roupies, on peut acheter de délicieux momo, des beignets de légumes croustillants ou cuits à la vapeur, de la soupe de dal ou lentilles ou bien une assiettée de riz aux épices que l’on doit manger avec les doigts, en tentant de former une boulette – pas facile… Une réfugiée tibétaine arrivée récemment mendie pour ses deux enfants. Tout le monde s’organise gentiment pour rassembler dans une assiette propre le surplus de riz et de beignets qu’on lui offre. Ce repas est bien sûr agrémenté du thé tibétain, beurré et salé. C’est étrange, mais fortifiant.
Ce n’est que lorsque le soleil descend, enflammant la vallée de l’Indus, que la foule commence à quitter Hemis dans un beau désordre de chevaux ou mules, scooters ou camionnettes déglinguées. La plupart vont à pied, les vieilles femmes faisant inlassablement tourner leurs moulins à prières. Pour cette fois, les forces du Bien ont encore triomphé de celles du Mal.
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