Sade, le divin et sulfureux marquis
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Man Ray, Portrait imaginaire de D.A.F. de Sade, 1938 |
Pour le
bicentenaire de la mort du « divin marquis », le musée d’Orsay a
organisé une grande exposition intitulée « Sade attaquer le soleil »,
qui durera jusqu’au 25 janvier 2015, sorte de promenade artistique autour des
idées fortes de son œuvre, à présent universellement reconnue et publiée en son
intégralité dans la prestigieuse collection de La Pléiade.
La vie scandaleuse d’un maître en la
matière
Né à Paris en
1740, Donatien, Alphonse, François de Sade appartient à l’une des plus
anciennes et prestigieuses familles de l’aristocratie française. Sa mère est
une Maillé. Son oncle paternel, l’abbé de Sade, volontiers libertin à ses
heures, prend son éducation en mains et lui inculque le goût du beau et de la littérature,
mais pas celui de la religion. Après ses études chez les jésuites, il s’engage
bien sûr dans l’armée, puis est réformé après la guerre de Sept ans. Moins de
six mois après son mariage avec la très riche Renée-Pélagie de Montreuil, il
est incarcéré à Vincennes pour « sacrilège libertin ». Sa longue vie
– il meurt à l’âge de 74 ans – ne comptera pas moins de 28 ans de captivité
pour viols, tortures, supplices ou écrits licencieux, sa belle-mère qui l’exécrait et visait sa
fortune étant pour beaucoup dans ces accusations bien souvent mensongères. Ces
28 ans d’emprisonnement, le marquis de Sade les emploiera à bâtir une œuvre
étrange et contestataire, interdite jusqu’en 1966. C’est assez dire qu’il
offusque et dérange.
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Eugène Delacroix, Médée furieuse, 1838 |
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Ingres, Angélique, vers 1819 |
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Delacroix, Mort de Sardanapale (esquisse), 1826 |
Cette vaste
exposition, construite autour de citations tirées de ses écrits, s’arrêt à la
date ou l’éditeur Jean-Jacques Pauvert, qui s’est acharné à faire connaître son
œuvre, obtient enfin gain de cause et parvient, après de retentissants procès,
à la publier dans son intégralité. Citons, parmi ses écrits les plus connus,
Les 120 Journées de Sodome qui inspira
un film magnifique à Pasolini,
Justine ou
les Malheurs de la vertu suivie de l’histoire de Juliette, sa sœur, puis
La Philosophie dans le boudoir, qui le
fit parfois considérer, à tort, comme un philosophe.
Séduit un
temps par les idées neuves de la Révolution, il adhère à la section des Piques
de la place Vendôme, mais ses convictions restent en formelle contradiction
avec la vertu si chère à Robespierre. Condamné à mort, il est sauvé par la
chute de ce dernier et libéré. Ses satires de la société du Directoire lui
vaudront l’inimitié de Bonaparte, la saisie de ses écrits et l’internement à
l’hospice de Charenton, où il mourra treize ans plus tard. Cet athée qui
faisait profession d’athéisme et écrivait « L’idée de Dieu est, je
l’avoue, le seul tort que je ne puisse pardonner à l’homme », fut contre
ses vœux enterré religieusement dans le cimetière de l’hospice…
Le XIX è siècle découvre Sade
Cette
découverte de l’œuvre du marquis de Sade par des poètes tels que Baudelaire ou
Rimbaud, des écrivains comme Flaubert ou Huysmans ou des peintres comme
Courbet, Ingres, Delacroix, Félicien Rops, Goya ou Füssli ne tarde pas à faire
boule de neige et inspire bien des écrits et des toiles. Annie Lebrun et
Laurence des Cars, qui ont organisé cette superbe et passionnante expo, ont
choisi d’explorer des thèmes plutôt que de suivre une simple chronologie de
l’œuvre de Sade. Le premier thème de l’exposition s’exprime ainsi :
« Humain, trop humain, inhumain », montrant que la formidable liberté
d’expression que s’est accordée Sade, à l’intérieur même de ses diverses
prisons ou asile d’aliénés, aide l’Art à détruire ses cadres codifiés. Jusqu’à
lui, on ne pouvait par exemple montrer un corps supplicié qu’avec l’excuse de
la représentation du martyre d’un saint ! A côté d’œuvres classiques,
cette exposition propose aussi des gravures licencieuses populaires, des
photographies parfois pornographiques, telles celles de Pierre Molinier,
pulvérisant cette distinction toute de principe entre érotisme élégant et
pornographie vulgaire.
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Alfred Kubin, Le Massacre, vers 1900 |
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Félicien Rops, Le Calvaire, 1882 |
Dans une
lettre à sa femme Renée datant de 1783, Sade se décrit ainsi :
« impérieux, colérique, emporté, extrême en tout, d’un dérèglement
d’imagination sur les mœurs qui de la vie n’a eu son pareil, athée jusqu’au
fanatisme. » Puis il ajoute avec une simplicité désarmante :
« Tuez-moi ou prenez-moi comme cela ; car je ne changerai pas. »
Pourtant, cet adepte de la cruauté au service du plaisir ne supportait pas que
l’on fît du mal à un animal, fustigeait avec une égale passion la guerre comme
la peine de mort. Jouissance et souffrance s’apparentant à des extases
mystiques chez Sade, il est à présent perçu comme un puissant symbole
d’émancipation, de libre disposition de son corps et de son plaisir, moquant
l’hypocrisie sociale et explorant les bas-fonds de l’inconscient, parfois
jusqu’à la nausée, sûrement jusqu’au délire. Nul, mieux que lui, n’aura su
figurer l’antihéros et le prince de tous nos fantasmes.
Musée d’Orsay, 62, rue de Lille 75007
Paris, Tél. : 01 40 49 47 46.
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