L’Ethiopie aux sources de l’humanité
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Gamine portant son petit frère vers Wenchi |
Ce pays grand comme quatre fois
la France et peuplé de cent millions d’habitants, « la Corne de
l’Afrique », jouit d’une culture multimillénaire.
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Cérémonie du café dans un bistro d'Addis-Abeba |
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L'ingéré, la nourriture traditionnelle éthiopienne, cette crèpe fermentée et
fourrée de toutes sortes d'ingrédients |
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Lucy, presque humaine |
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Salomon recevant la reine de Sabba |
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La chambre du dernier empereur Haïssé Sélassié |
Un peu d’Histoire
Jamais colonisée si l’on excepte
la brève occupation italienne, ouverte au tourisme depuis seulement une dizaine
d’années, à condition toutefois de n’être pas trop difficile quant aux
infrastructures hôtelières encore balbutiantes et l’état des routes, le plus
souvent réduites à de la piste, l’Ethiopie a su garder toute son authenticité.
Dans des paysages aux vastes perspectives, semi-désertiques dans le nord, plus
luxuriants dans le sud où l’on trouve encore de la forêt primaire, franchement
désertiques à l’est, dans la région du Dalakil et de ses immensités salées, ce
peuple de pasteurs vit au rythme de ses troupeaux, buffles et vaches, moutons
et chèvres semblables à des antilopes, amours de petits ânes cheminant souvent
seuls car ils savent retrouver sans aide le chemin de l’écurie, longues
caravanes de chameaux.. Bordé au nord par l’Erytrée, puis à l’ouest par le
Soudan, le Sud-Soudan et le Kenya, puis la Somalie et le territoire de Djibouti
qui la sépare de la Mer rouge, l’Ethiopie n’a aucun rivage maritime, mais
d’innombrables lacs, la plupart du temps infestés hélas par la bylharziose et
des fleuves qui se gonflent soudain à l’approche des pluies, de juin à
septembre. Pour se protéger de sécheresses qui peuvent être terriblement
meurtrières, comme celle de 1974 qui fit des millions de morts sans que le gouvernement
en place n’accepte de la reconnaître et de demander des secours internationaux,
on met actuellement en place de nombreux barrages, notamment sur le Nil Bleu et
dans la vallée de l’Omo où l’aide internationale est entrain d’en construire
deux. Cela suppose bien sûr des déplacements de population toujours douloureux,
mais il en va de la survie d’un pays à peine émergeant et qui n’a d’autres
ressources que des mines d’or, de cuivre et d’étain encore insuffisamment
exploitées, des réserves de gaz naturel, l’électricité produite par les
barrages et son cheptel, le premier d’Afrique, le dixième mondial.
Lucy, presque humaine
Longtemps considérée comme le
berceau de l’humanité jusqu’à la récente découverte d’ossements encore plus
anciens dans le bassin du Tchad, l’Ethiopie demeure pourtant à l’aube de notre
histoire. Dans la vallée du Rift et surtout le long de la rivière Awash, zone
alors fort giboyeuse et couverte de profondes forêts aujourd’hui disparues
apparaissent les premiers hominidés il y a environ trois millions et demi
d’années. En 1974 furent ainsi découvert près de Hadar les restes d’un
squelette de jeune fille aussitôt dénommée Lucy, que l’on peut voir aujourd’hui
au Musée National d’Addis-Abeba, semblant s’avancer vers le visiteur, dans son
cube de verre. L’émouvante Lucy est toute petite, 1m05, mais elle se tient
debout. Sa cage thoracique très développée et ses longs bras évoquent encore le
chimpanzé dont elle demeure bien proche. Pas tout à fait humaine, elle
représente le chaînon manquant de l’évolution, l’Australopithecus afarensis. Si lente évolution vers l’homme
moderne… L’Homo habilis qui vivait il y a 2,5 millions d’années fut progressivement
remplacé par l’Homo erectus puis l’Homo sapiens, entre 1,7
millions d’années et 200 000 ans, dont de nombreux sites découverts en
Ethiopie…
« C’est le soleil qui m’a brûlée »
Ainsi se définit la reine de Saba
dans ce long poème amoureux à deux voix qu’est le Cantique des cantiques. Il y
a donc environ 4000 ans, la très belle et vertueuse Makéda, dont on peut encore
voir les restes du palais à Axoum, ainsi que les bains, entendant vanter par
des marchands la sagesse du légendaire roi Salomon, se mit en route, à la tête
d’une longue caravane chargée des plus riches présents, pour son royaume. Longtemps,
ils parlèrent de l’art de diriger un royaume, de leurs croyances, de leurs
peuples. Makéda, qui adorait le soleil, la lune et les étoiles écoutait Salomon
vanter les mérites d’un Dieu unique, puis se convertit au judaïsme. La veille
de son départ, Salomon, amoureux fou de la belle reine qui n’avait pas voulu
lui céder, lui offrit un fastueux banquet où l’on servit une abondance de mets
fortement épicés, mais aucune boisson. La reine lui avait auparavant promis de
ne jamais user d’un bien lui appartenant sans lui en avoir au préalable demandé
la permission. Au cours de la nuit, Makéda, assoiffée, ne put résister à
l’attrait d’une jarre d’eau fraîche. Salomon, qui l’espionnait, lui reprocha
d’avoir rompu sa promesse et exigea, en guise de réparation, qu’elle devînt
sienne. Quand elle repartit pour son lointain royaume après cette unique nuit
amoureuse, il lui remit un anneau nuptial. Si elle enfantait d’un fils,
celui-ci devrait, muni de cet anneau, rendre visite à son père lors de ses
vingt ans. Ainsi en fut-il.
Le fils né de cette union,
Ménélik, devenu roi à son tour, vint trouver son père comme sa mère s’y était
engagée. Salomon le reconnut comme sien et le reçut avec honneur, lui montrant
son plus précieux trésor, la fameuse Arche d’Alliance contenant les tables de
la loi de Moïse scellant l’alliance entre Dieu et les hommes et dix
commandements tracés par le doigt de Dieu. Ménélik ne sut résister à la
tentation de dérober à son père le trésor qu’il rapporta à Axoum. La légende
veut que, depuis quatre mille ans, cette Arche d’Alliance ait été cachée de
monastère en monastère, jusqu’à ce que le dernier empereur, Haïssé Sélassié, ne
l’enfouit à tout jamais dans une crypte secrète de l’église de Notre-Dame de
Sion, veillée par un ermite, reclus volontaire sa vie durant…
Le dernier empereur Haïlé Sélassié
A la mort de la reine Zaïditu en
1930, le ras Tafari est proclamé Négus et couronné roi sous le nom de Haïlé
Sélassié ou Pouvoir de la Trinité. Venues d’Erytrée et de Somalie, les armées
italiennes s’emparent de la capitale le 5 mai 1936 et Mussolini fait du pays
une colonie italienne dans l’indifférence générale. Le roi s’exile en
Angleterre. Occupation sanglante, les Chemises Noires laissant 10 000
morts derrière elles.
Ce n’est qu’une fois Mussolini officiellement
allié à Hitler que les troupes britanniques, entrées au Soudan avec Haïlé
Sélassié, rallient les résistants éthiopiens jusqu’à la reddition italienne le
5 mai 1941. Même s’il tente de
moderniser son pays, son pouvoir reste trop féodal et le mécontentement gronde.
La guerre avec l’Erytrée, les famines de 1972 et 1974 précipitent la chute du pouvoir impérial et
l’empereur est déposé le 12 septembre 1974. Luttes intérieures, guerre avec la
Somalie, nouvelles famines en 1984 et 1985, il semblerait que l’Ethiopie n’en
finisse plus de panser ses plaies. En juillet 1991, les forces rebelles
coalisées instituent un gouvernement transitoire présidé par Mélès Zenawi, qui
entreprend d’importantes réformes économiques, jusqu’à la proclamation, trois
ans plus tard, de la république démocratique fédérale d’Ethiopie et Mélèx
Zenawi est confirmé à son poste, tandis que les relations restent tendues avec
tous ses voisins. Lors de sa mort en août 2012, le pays a su éviter une crise
de succession en plaçant au pouvoir le vice-président, Hailemariam Desalegn.
Les problèmes restent pourtant multiples, dont le plus grave reste sans doute
l’insuffisance dramatique de couverture médicale, un médecin pour 30 000
habitants et la crainte, chaque année, d’un retard de mousson qui entraînerait
de nouvelles famines. Dès ce début d’avril, les fleuves du nord sont déjà
asséchés, les distributions internationales de vivres et d’eau commencent… Même
si certains économistes voient dans l’Ethiopie la future corne d’abondance de
l’Afrique, le niveau de vie dans les campagnes reste encore bien proche du
seuil de pauvreté…
Addis-Abéba, une capitale sans grand charme
On ne peut dire que cette ville
bruyante, encombrée, hérissée de bidonvilles entre lesquels pointent quelques
buildings bien modernes, surtout réservés aux banques, puisse séduire le
voyageur et une journée de visites suffit largement à en épuiser les charmes.
Deux musées valent le détour, celui d’Ethnologie, situé dans l’ancien palais
d’Haïlé Sélassié et le musée National. Le premier présente sur deux étages une
riche collection d’outils, artisanat et objets religieux, costumes, bijoux et
mêmes les chambres et salles de bains de l’empereur et de l’impératrice, ainsi
que des portraits d’eux. ce sont surtout les belles collections de peintures
naïves du XIX è et XX è siècle qui valent le détour, avec leurs expressives
visages percés d’yeux immenses, le beau regard de ce peuple fin et racé. Pour
ceux que passionnent les origines de l’humanité, il ne faut pas manquer le
musée National et surtout son sous-sol où sont bien exposés l’histoire de
l’humanité et les fameux « chaînons manquants » découverts en
Ethiopie, Selam d’abord, un enfant vieux de 3,3 millions d’années et la petite
jeunette, Lucy, dénommée dinknesh, la
merveilleuse, par les Ethiopiens qui en sont si fiers que sa silhouette orne
bon nombre de T-shirts !
Visite rapide à l’église très
kitsch de la Sainte-Trinité fondée en 1931 par Haïlé Sélassié et à l’Hôtel de
Ville au plan en forme d’étoile à trois branches, petit tour au Mercato, le
marché local où il ne faut pas quitter son argent des yeux, d’autant plus
qu’avec le change à 22, on manipule d’énormes liasses de birrs, la monnaie locale, et voilà pour la ville. Une halte sympa
pour déjeuner est l’hôtel-restaurant Finfine Adarash, blottie dans un jardin, à
Masqal Square, l’une des rares vieilles maisons en bois encore conservées,
ancienne demeure d’un ras, un aristo.
Les chambres spacieuses ne coûtent que vingt dollars et jouissent d’une
excellente eau thermale. On y déguste bien sûr le plat national, l’injera, sorte de crêpe de tef fermentée, céréale propre à
l’Ethiopie, que l’on farcit de toutes sortes de légumes, viandes ou poissons et
que l’on accompagne d’une bière éthiopienne, toutes excellentes, en particulier
l’amber beer. On peut aussi goûter une sorte d’hydromel local, le tedj. A mon avis, la bière artisanale,
la tela, est quant à elle proprement
infecte !
Du haut de la colline d’Entoto,
le premier site de la ville conçue par le roi Ménélik II, la vue embrasse toute
la capitale. Il s’agit d’un ensemble de palais fort simples, en chaume, bois et
torchis, où vivaient la famille royale et les membres du gouvernement. Au pied
de la colline, les échoppes de souvenirs et tissus du marché d’Horomeida sont à
mon sens bien plus intéressants qu’au Mercato. Pour se reposer de tout ce
trafic, le mieux est d’aller prendre un verre sur les terrasses du Sheraton, à
la déco aussi luxueuse que banale, mais on est bien, sous la foison d’Ibiscus
et de bougainvillées !
Les bus, vieillots,
inconfortables et peu sûrs, aux horaires pour le moins fantaisistes, ne
constituent pas le meilleur moyen de visiter l’Ethiopie. Le mieux est de
s’adresser à l’une des innombrables agences locales et de discuter sérieusement
les prix. En basse saison, c’est-à-dire de mars à octobre en exceptant la
semaine pascale, de huit jours à peu près plus tardive que chez nous, il faut
compter 150 E par jour pour avoir un bon 4X4 Toyota, un chauffeur et un guide.
C’est cher, mais les voitures sont hors de prix à cause des taxes d’importation
et il n’existe encore aucune usine de montage. Si la majeure partie des
véhicules viennent du Japon, tous les produits manufacturés et même les tissus
et vêtements viennent de Chine. Chinois encore pour construire les routes,
encore à l’état de balbutiement…
Une excursion au mont Wenchi
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Porteuse de jarres vers le mont Wenchi |
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Berger devant le lac de cratère du mont Wenchi |
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Prêtre dans le monastère de Zégué |
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Prêtre devant l'église Entos Yeguesu à Zégué |
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Lessive dans le lac Tana |
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Petit peintre à Zégué |
Une bonne façon de tester les
services de vos guide et chauffeur est de les retenir d’abord pour une seule
journée, le temps d’une excursion au mont Wenchi, au sud-ouest de la capitale,
après le bourg d’Ambo. On traverse une région très agricole où paissent de
vastes troupeaux de buffles et vaches, mais aussi moutons, ânes et mignonnes
biquettes gardés par des pâtres aux allures bibliques, drapés dans leurs
grandes capes blanches de bergers et nonchalamment appuyés à leurs cannes ou
bien pesant sur leur joug, attelé à deux bœufs, car on est en pleine saison des
labours, en ce début d’avril. C’est le territoire des Oromo, qui comprend une
grande partie de l’Ethiopie centrale et du sud, entourant l’enclave des
territoires tribaux et notamment la célèbre vallée de l’Omo où seront
construits les deux prochains barrages.
Ce mont Wenchi, un ancien volcan
éteint dont le cratère forme à présent un lac semé de petites îles où se dresse
parfois une vieille église, s’élève à 3300m d’altitude. Une piste mène à son
sommet, où l’on peut louer un cheval pour descendre jusqu’au lac par des
sentiers plutôt abruptes, mais c’est du sommet que l’on jouit de la plus belle
vue sur l’ensemble du lac.
Bahar Dar et le lac Tana
Les lignes intérieures sur
Ethiopan Airlines sont aussi sûres que bon marché et de nombreux voyageurs,
rebutés par le coût de location des 4X4, se contentent de faire des sauts de
puce vers les principaux lieux historiques de l’Ethiopie, Bahar Dar, Gondar,
Axum, Mékélé d’où l’on pique vers Lalibela, sans doute le site le plus célèbre
d’Ethiopie, avec sa foison d’églises monolithes. C’est bien sûr une solution,
mais on manque ainsi les admirables paysages semi-désertiques de l’Amhara et du
Tigré plus au nord, à la frontière de l’Erythrée, et le contact avec la
population locale. Il faut pourtant savoir à quoi l’on s’attend, si l’on
choisit la formule de l’exploration en 4X4. A partir de Debark, à mi chemin de
Gondar à Axum, il n’y a plus de route, mais de la piste, souvent montante et
difficile, si bien qu’il faut par exemple compter onze heures de piste creusée
de nids de poule pour se rendre de Mékélé à Lalibela… Dos fragiles
s’abstenir !
Pour réduire tout de même un peu
les heures de route, nous choisissons de nous rendre en avion à Bahar Dar, mais
notre chauffeur, lui, fera le trajet à vide pour s’y rendre, car l’on ne peut
encore louer un véhicule à un endroit et le restituer à un autre, ce qui
augmente bien sûr considérablement le coût de l’opération…
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Gamine dans un ancien village fellash |
Si le bourg lui-même n’a aucun
intérêt, sa situation privilégiée au sud du lac Tana en fait une halte obligée.
Cette immense mer intérieure de 3500 km2, la plus vaste d’Ethiopie, est semée
de trente-sept îles, pour la plupart peuplées de minuscules villages et d’une
bonne vingtaine de monastères faisant leur renommée. On peut louer des bateaux
directement à l’embarcadère. Comptez environ mille birrs à la demi-journée, ce
qui est suffisant pour visiter Kebran Gabriel et la péninsule de Zéghé, mais il
faut compter une pleine journée si l’on veut pousser jusqu’à l’îlot où fut
construite la plus belle des églises du lac Tana, celle de Nerga Sélassié,
sanctuaire édifié par la reine Mentewab au XVIII è siècle. D’autres, vieilles
de sept siècles, sont bien sûr plus frustres, mais toujours émouvantes. Le
temps semble s’est arrêté. Les villageois, insuffisamment instruits des méfaits
de la bilharziose, font hélas leur lessive et leurs toilette dans le lac et
l’on n’ose penser aux dommages que cela risque de leur infliger… Au sud de
Bahar Dar, une mauvaise piste mène aux mythiques chutes du Nil, mais il faut
savoir que leur débit dépend de l’ouverture ou de la fermeture du barrage et
que l’on risque donc d’observer un spectacle fort décevant. Quoi qu’il en soit,
le Nil Bleu est magnifique, orgueilleusement étalé dans un paysage digne des
temps bibliques.
Il nous faut la
journée pour parvenir à cette ville mythique, berceau de la dynastie du même
nom, située un peu au nord du pays Amhara. Située sur les contreforts du massif
du Simien, cette ville, capitale du royaume de par la volonté du roi Fasilidas
depuis 1635 jusqu’au XIX è siècle, est remarquable par son Fasil Ghebbi, son
enceinte royale entourée de remparts et située au cœur de la ville. C’est
d’ailleurs avec cet établissement à Gondar que les monarques éthiopiens cessent
leur vie itinérante pour bâtir une vraie cité. On peut commencer la visite de
Gondar en se rendant sur le site du complexe de Kouskouam, situé à 5 km de là, formidable
forteresse érigée en 1730 par la reine Mentewab, dont la silhouette altière,
juchée au sommet d’une colline, se voit de loin. La petite église jouxtant le
château fait office de musée et contient les restes de l’impératrice et de sa
famille, ainsi qu’une belle collection de vieux livres saints. L’édifice le
plus célèbre du Fasil Ghebbi, le palais de Fasilidas, est un massif édifice
carré flanquée de quatre tours, d’une vigie carrée et de murailles crénelées,
le tout mêlant influences locales, portugaises et indiennes. Un escalier mène
au rez-de-chaussée surélevé contenant une gigantesque salle d’audience divisée
en deux parties, l’une réservée aux hommes et l’autre aux femmes, la chambre
royale se trouvant au niveau supérieur. D’un balcon de bois, le roi pouvait
s’adresser à ses sujets.
A la mort d’un
roi, son successeur se faisait aussitôt bâtir son propre château sans toucher
au précédent, ce qui explique cette étrange juxtaposition de palais. De son
quatrième fils et successeur, Yohannès Ier, un prêtre-roi féru d’études, il ne
reste que deux bâtiments, la bibliothèque encore pourvue de fenêtres et un
pavillon crénelé qui abritait la chancellerie. Monte ensuite sur le trône
Iyassou Ier dit aussi le Grand, si renommé pour ses fabuleuses richesses que
Louis XIV lui envoya en ambassade son médecin Charles Poncet, qui revint à
Versailles, encore ébahi par la débauche d’ivoire, de pierres précieuses et de
riche mobilier dont était pourvu son palais. Ce vaste bâtiment rectangulaire,
situé un peu en contrebas du reste du site, était le seul à être voûté. Il
reste encore ses bains d’étuve couverts de coupoles.
Sa succession
fut troublée, jusqu’à ce que l’un de ses fils, Dawit III, parvienne finalement
à s’emparer du pouvoir. Son palais a aujourd’hui disparu, mais on peut encore
voir sa « maison de chant », bâtiment tout en longueur, ainsi que ses
cages aux lions, animaux fétiches des souverains éthiopiens. Après lui
régnèrent successivement Bakaffa et Mentewab, dont il reste une vaste salle de
banquet, des écuries, et le château de Mentewab, décoré de motifs religieux,
aujourd’hui reconverti en bibliothèque. Cet extraordinaire ensemble,
malheureusement très endommagé par les bombardements anglais, est en cours de
restauration, mais on ne peut dire que les ouvriers soient très actifs sur les
divers chantiers…
A deux
kilomètres de là, les bains de Fasilidas valent vraiment le détour. Imaginez un
lieu paisible planté d’eucalyptus, l’arbre venu d’Australe que Ménélik II
introduisit en Ethiopie et qui y prospéra heureusement, pourvu d’un vaste
bassin servant sans doute à la détente du roi et de ses concubines, ainsi qu’à
la cérémonie sacrée de Timkat, qui a lieu chaque année en janvier et attire
d’immenses foules de pèlerins, la commémoration du baptême du Christ dans le
Jourdain par saint Jean Baptiste. Relié à la terre ferme par un pont s’y dresse
un élégant pavillon carré à étages.
De Gondar à
Debark, la route est excellente, mais il ne faut pas imaginer que cela puisse
durer. Ensuite, jusqu’à Axoum, les travaux pharaoniques entrepris par les
Chinois pour creuser une route à flanc de montagne ne cessent d’interrompre la
circulation et la piste reste encore bien difficile. On longe alors le parc
national des monts Simien, lieu d’excursion privilégié des trekkeurs et paradis
d’une faune endémique, l’antilope Nyala qui vit dans les montagnes, le renard
d’Abyssinie, assez proche du loup ou du chacal, l’ibex Walia, sorte de
bouquetin à longues cornes élégamment recourbées, les babouins géladas qui
vivent en hordes et que l’on nomme aussi « babouins au cœur
saignant » en raison d’une tache pourpre étalée sur son poitrail. Il faut
encore une pleine journée avant de parvenir à Axoum en traversant des paysages
montagneux aux perspectives immenses aux rares villages faits de pierre ou
d’argile séchée plaquée sur des armatures de bois d’eucalyptus. La population,
encore fort pauvre et enclavée, ne vit que d’élevage. Les écoles et
l’électricité ne sont pas présents partout et les dispensaires inexistants.
La fabuleuse capitale d’Axoum où régna la
légendaire reine de Saba
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Bistro vers Axoum |
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Gamines vendant la bière locale, la tela |
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Baignade avant Axoum |
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Obélisques funéraires d'Axoum |
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Obélisques d'Axoum |
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Ruines du palais de la reine de Sabba |
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Les bains de la reine de Sabba |
En arrivant à
Axoum, laide bourgade d’un peu plus de 50 000 habitants, il est difficile
d’imaginer qu’elle fut jadis la capitale d’un des plus puissants royaumes alors
existants, celui de la reine de Saba il y a trois mille ans, royaume qui connut
son apogée au Ier siècle avant notre ère. On peut se promener dans un important
champ de stèles funéraires, au nord de la ville, dont le plus important
spécimen, pesant quelques quatre cents tonnes, est brisé. La seconde stèle la
plus remarquable, haute de 28m et gravée pour représenter une maison à étages,
avait été dérobée par les Italiens, placée à Rome et finalement restituée. Les
motifs entourant la représentation des fenêtres, dits « à tête de singe »,
sont significatifs de la civilisation d’Axoum et se retrouvent aussi à
Lalibela. On peut encore voir les tombes des rois Kaleb et Gabra Masqal,
véritables chambres funéraires assez dépouillées auxquelles on accède par
d’étroits escaliers, celle du roi Bazen, sans doute antérieure aux deux autres,
le réservoir de May-Shum que l’on appelle aussi les bains de la reine de Saba,
les ruines de son palais dont il ne reste pas grand-chose et la fameuse pierre
d’Ezana, haute d’un peu plus de deux mètres et la fameuse pierre d’Ezena,
contant les épisodes d’une bataille et gravée en trois langues, guèze, sabéen
et grec, sorte de version éthiopienne de notre pierre de la Rosette qui permit
aux chercheurs de trouver la clef des hiéroglyphes égyptiens.
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Mise en forme des plaques de sel du Dalakil à Kwiha
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Non loin
d’Axoum, le temple de Yeha, en cours de restauration, est considéré comme le
plus ancien édifice d’Ethiopie, puisqu’il date du V è siècle av.J-C et
peut-être même de trois siècles plus tôt.
Dédié au dieu sabéen Almaka, construit sans mortier, il ressemble aux
édifices de Marib, au Yémen. Toute proche, l’église d’Abuna Aftse et son petit
musée renferme de beaux manuscrits, dont celui du Miracle de la Vierge.
Adigrat et
Mékélé n’ont d’autre intérêt que d’être les carrefours des caravanes de
chameaux venus porter leur chargement de plaques de sel extraites du désert de
Danakil par ce peuple Afar encore sauvage vers le Tigré, mais l’on peut
découvrir en chemin quelques unes des belles églises rupestres du Tigré, telles
que Dugem Sélassié, Abraha et Atsbeba ou Wukro Cherkos.
Si on loge à
Mékélé dans l’ancien hôtel d’Etat, Abraha Castle, de la terrasse duquel la vue
est superbe sur la ville, il ne faut pas se laisser prendre par ses allures
imposantes de forteresse. A l’intérieur, le confort, quasi inexistant, reste
lamentable.
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Eglise d'Adwa à Yeha |
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Vers Hausien |
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Distribution de vivres par la Croix Rouge américaine |
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Labours vers Hausien |
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Cérémonie à Beta Michael |
Lalileba, ses douze églises monolithiques
dont la célèbre Beta Ghiorghis en forme de croix
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Hôtel Abraha Castle à Mékélé |
Il faut compter
onze bonnes heures de piste difficile pour gagner Lalibela, en traversant les
somptueux paysages du pays Agaw, en traversant de minuscules villages aux
maisons de pierre et parfois même constitués de simples huttes circulaires. Là
encore, de nombreuses distributions d’eau et de vivres prouvent que l’aide
internationale reste vigilante et qu’on espère bien éviter les terribles
famines d’il y a trente ans.
Même s’ils ne
sont pas très confortables, les divers bâtiments blottis dans un joli jardin de
l’hôtel Seven Olives, appartenant d’ailleurs à l’Eglise locale, ont l’avantage
de jouir d’une terrasse calme et agréable et d’un bon restaurant bien décoré dans
le style local. L’hôtel est en outre tout proche de l’entrée du site (compter
50 dollars l’entrée, dont 35% reviennent à l’Etat, le reste à l’Eglise, ce qui
reste exorbitant pour le pays et n’enrichit pas pour autant le village,
toujours aussi pauvre). La visite se fait en général en commençant par le
groupe nord, puis, à l’ouest, la plus fameuse des onze églises, Beta Ghiorghis,
la Maison de Saint-Georges.
Ces célèbres
sanctuaires de Roha, du nom de l’ancienne ville, furent édifiés durant les XII
è et XIII è siècle par le roi et saint Lalibela, qui vécut dit-on jusqu’à l’âge
de 97 ans, incarnant comme une seconde Jérusalem en terre éthiopienne, ce roi
ayant voyagé jusqu’à Jérusalem et même rencontré Saladin, prétend la légende.
Il associa étroitement à son règne sa femme Meskal Kebra dont il eut un fils,
mais ce fut son neveu qui lui succéda, jusqu’à ce que la dynastie Zagoué soit
renversée par celle des Salomoniens se prétendant descendants directs de
Salomon et de la reine de Saba, en 1270.
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Restaurant Gez Gazale à Mékélé |
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Baobab |
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En route vers le marché de Lallibela |
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Beta Medhane Alem |
On commence la
visite du groupe nord en descendant par un étroit escalier jusqu’à la grande
église rectangulaire, malheureusement protégée des intempéries par un affreux
toit, de Beta Medhane Alem. Ensuite on peut gagner par un passage creusé dans
la roche Beta Mariam au nord et son pendant au sud, Beta Denaghel, puis Beta
Meskal, Beta Debré et Beta Gogotha et ensuite le prétendu tombeau d’Adam.
Certaines églises contiennent des fresques, d’autres de simples toiles naïves,
avec toujours ces immenses yeux éthyopiens, exposées dans un certain désordre
et laisser-aller. Il s’agit en fait d’une sorte de parcours initiatique, du
tombeau d’Adam à l’église du Sauveur du Monde. On a l’impression de cheminer
dans la roche, en se rendant d’un lieu à l’autre pour visiter ces églises
restées immuables depuis des siècles. On a parfois la chance d’assister à une
cérémonie religieuse, ponctuée de chants et du bruit des bâtons des célébrants
frappés contre le sol. C’est beau, insolite.
Beta Ghiorghis la très belle
Située un peu à
l’écart du groupe nord, cette église,
la plus emblématique de tout Lalibela, se devine de prime abord par une immense
croix semblant taillée à même la roche rouge. Ce n’est qu’en descendant douze
mètres plus bas que l’on perçoit ce formidable édifice dédié à saint Georges,
qui apparut en personne au pieux souverain pour réclamer que lui soit dédié le
plus beau sanctuaire du site, apogée de l’art architectural de Lalibela… On y
accède par une longue tranchée où sont inscrites les empreintes des sabots du
cheval de saint Georges. Les douze façades sont ornées de plusieurs corniches
et de deux niveaux de fenêtres toutes différentes. On voit bien à l’intérieur
la forme de la croix grecque et le saint des saints est ici surmonté d’une
coupole. Tout autour, de nombreuses cavités sont habitées par des ermites lors
des principales fêtes et l’une d’elles renferme des corps momifiés. L’isolement
de cette église, située à l’écart des autres et loin du village, sur un vaste
sol rocheux, lui offre une remarquable solennité.
Le groupe sud, sans doute une ancienne
forteresse
Séparé du groupe
nord par un canal creusé dans la roche et baptisé bien sûr le Jourdain, ce
groupe, bien plus ancien que le premier, n’était pas constitué à l’origine
d’églises, comme il l’est maintenant. Ils abritaient sans doute à l’origine les
appartements du roi, de sa suite, de ses ministres et le trésor royal, c’est
pourquoi il ressemble plus à une forteresse bien protégée qu’à un ensemble de
sanctuaires mais l’Eglise, refusant d’admettre cette évidence, interdit
malheureusement toute fouille. On ne cesse ici aussi de monter et de descendre
pour se rendre d’une église à l’autre, cheminant parfois par de longues
galeries obscures, cheminant ainsi de Beta Emmanuel au nord, à Beta Mercurios,
Beta Abba Libanos, Beta Gabriel et Raphaël.
Le tombeau du roi Lalibela
A quatre
kilomètres de là, au sein d’une immense grotte, le neveu du roi saint, Nakuto
Lab, dernier roi de la dynastie des Zagoué, a construit en mémoire de son oncle
deux bâtiments de damiers noirs et blancs, l’église et la demeure des prêtres
la desservant, aujourd’hui presque ruinée. L’église est particulièrement
fréquentée en période de noël où une foule fervente vient y danser, y prier et
y chanter. Tout au fond de la grotte, un immense charnier abrite les restes
momifiés et bien visibles de quelques cinq mille pèlerins venus mourir là, aux corps juste posés sur leurs linceuls.
Derrière l’église s’élève le tombeau de Lalibela, recouvert de précieux brocarts
et toujours l’objet de la vénération des fidèles qui lui portent un véritable
culte.
A 25 km de là, l’église Genet
Mariam, fondée en 1270 par le restaurateur de la dynastie salomonienne, est un
bel exemple d’église monolithe creusé dans le tuf rose. L’intérieur en est
ornée de belles fresques naïves, dont les fameuses vierges sages, sans nez ni
bouches !
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Prêtres à Yemrehanna |
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Prêtre à Yemrehanna |
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Carte de l'Ethiopie
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Tout l'album de ce voyage, L'Ethiopie aux sources de l'humanité, est disponible sur Blurb.
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