LA FILLE DE STALINE
La malédiction de Svetlana
par Beata de Robien
Sobre,
juste et dépouillée, jamais grandiloquente ou larmoyante, cette biographie fort
détaillée de Svetlana, la fille de Staline, s’appuie sur une masse de
documents, certains encore inédits, et touche par sa clairvoyance et son
absence de parti-pris. Pourtant, Beata de Robien est Polonaise et a souffert
des conséquences du stalinisme dans sa propre famille, ce qui fit l’objet d’un
autre livre émouvant, également paru chez Albin Michel, Fugue polonaise. Dans cette Malédiction
de Svetlana, certaines pages rendraient même Staline presque humain, en particulier
l’adoration qu’il voue à sa Svetlana enfant pour qui son papotchka est un presque Dieu. Dès qu’elle commencera à lui
échapper à l’adolescence, puis à l’âge adulte lorsqu’elle connaîtra l’affreuse
vérité sur la prétendue appendicite ayant causé la mort de sa mère, en réalité
un suicide causé par le despotisme de son mari, Staline l’aimera beaucoup
moins. De son enfance dorée de petite reine au Kremlin et dans les différentes
datchas de son père, toutes plus laides et plus luxueuses les unes que les
autres, Svetlana assiste d’abord sans rien y comprendre à la disparition de la
plupart des membres de sa famille maternelle, ses tantes et oncles bien-aimés,
ses cousins et cousines prétendument traîtres à la patrie, en réalité torturés,
emprisonnés, déportés ou tués. Ils en savaient beaucoup trop. Trop sur le
fonctionnement et la corruption du Politburo, trop sur la réalité des
déportations massives et injustifiées, trop sur la vraie nature de celui que
Svetlana prend un temps pour « le maître du monde ».
Une fois l’image paternelle dégradée, Svetlana se retrouve
bien seule et désemparée, au sein d’une famille décimée. Son demi-frère très
aimé est fait prisonnier durant la guerre et finira lui aussi par se suicider,
son autre frère, bombardé général de l’armée de l’air, n’est qu’un noceur
ivrogne. Son père est devenu lointain, bourru, agacé par cette jeune fille
qu’il ne reconnaît plus, même si elle lui ressemble étrangement, avec sa
chevelure flamboyante, qui ose le questionner, mette en doute sa politique de
terre brûlée. Et Svetlana, qui a désespérément besoin de se sentir aimée, se
lance dans l’amour, les amours, sans prudence, sans clairvoyance. Mariages,
divorces, naissances de deux enfants se succèdent. Ces enfants, Iosif et Katia,
elle les laissera derrière elle lorsque, séjournant en Inde pour y porter les
cendres de son grand amour, Brajesh Singh, un fils de rajah devenu communiste,
elle y demande l’asile politique de l’ambassade américaine. Arrivée médiatisée
à l’extrême aux States où elle est fêtée mais aussi instrumentalisée par le
gouvernement, publication de son bestseller Vingt
lettres à un ami où elle conte son enfance aux côtés d’un père à présent
unanimement considéré comme l’un des pires tyrans qui soit.
Incapable de gérer sa nouvelle fortune car elle n’a aucune
notion de l’argent, le Parti ayant toujours tout payé pour elle, Svetlana se ruine
vite et continue son errance, tant amoureuse que géographique. Même la
naissance de sa fille américaine, Olga, ne parvient pas à la stabiliser.
Toujours en fuite, elle cherche la paix dans un retour en Russie, atrocement
décevant, ses deux aînés lui reprochant son abandon, puis c’est de nouveau l’Amérique
où elle ne cesse de déménager, un séjour anglais, l’Amérique encore où elle
finira sa vie dans un dénuement pathétique, cherchant toujours à oublier
qu’elle fut la fille d’un grand criminel sans pouvoir se détacher de ses
souvenirs, la nostalgie de l’âme russe l’habitant toujours. La malédiction de Svetlana… Un beau
livre admirablement documenté, une vision poignante de la Russie sous la poigne
de « l’homme d’acier », le surnom de Staline.
La malédiction de Svetlana par Beata de Robien, Albin Michel, 550 p, 24E.
La malédiction de Svetlana par Beata de Robien, Albin Michel, 550 p, 24E.
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