NOUVELLE PUBLICATION


                                                                   MARIE


Depuis le 2 novembre, mon dernier roman historique paru chez Albin Michel, Marie, peut se trouver en librairie.





 Quatrième de couverture
Louis XIV a vingt ans. Aux séduisantes dames de la cour qui virevoltent autour de lui, il préfère le charme discret d’une frêle jeune fille : grandie dans l’ombre de son oncle, le puissant ministre Mazarin, Marie Mancini le séduit par sa culture et sa sincérité.
   Loin de s’en réjouir, Mazarin s’en inquiète. Depuis de longs mois, il mène des négociations de paix difficiles avec l’Espagne et l’une des clauses du traité prévoit le mariage du jeune Louis avec l’infante d’Espagne Marie-Thérèse. Promise à Rome au prince Lorenzo Colonna, Marie est rapidement éloignée de la cour. Elle ne s’en remettra jamais et mènera une vie d’errance.
   Le destin de Marie Mancini ne pouvait laisser indifférente la romancière et historienne Isaure de Saint Pierre. Dans ce roman aussi foisonnant que les aventures de son héroïne, l’auteur de Gabrielle d’Estrées ou les belles amours s’empare de la vie tumultueuse et méconnue d’une femme contrainte à l’exil pour avoir aimé un roi et en avoir été aimée, esquissant en creux le portrait troublant de Mazarin.

Extrait 
1

    Avec l’insouciance de ses douze ans, Marie ne ratait pas une occasion d’échapper à la surveillance de sa mère et de sa tante pour courir sur le pont de la somptueuse galère voguant vers Marseille. En dépit de la lettre de son oncle Mazarin, le grand, l’immense cardinal Mazarin, Marie avait jusqu’au dernier instant redouté de ne pas faire partie du voyage. Elle avait dû supplier, tempêter, jurer que si on ne l’emmenait pas, elle en demanderait elle-même raison à son oncle pour que sa mère cédât enfin. Cette grosse femme molle et morose ne l’aimait guère, Marie l’avait toujours su. Elle lui préférait n’importe lequel de ses autres enfants, ses trois fils bien sûr, Paul, Philippe et Alphonse, qui étaient son orgueil, ou même ses quatre autres filles. Une brise légère frisait les vagues et permettait d’aller bon train. Dans deux jours, l’on serait à Marseille, puis à Aix et enfin à Paris. Paris, la capitale de ce jeune roi d’un an seulement plus vieux qu’elle. Marie se le représentait comme un dieu. Deux de ses frères, Paul et Philippe, se trouvaient déjà à la cour de France, avec ses sœurs Laure et Olympe. Laure était même fiancée à Louis II de Vendôme, duc de Mercoeur. Alliance prestigieuse avec un prince du sang qui renforçait encore le pouvoir et l’aura de leur oncle Mazarin, le maître de la France depuis qu’il avait jugulé la révolte de la Fronde et reconquis Paris pour Louis XIV.
   Marie savait tout cela. Tout comme elle savait qu’elle n’avait pas l’opulente beauté de ses sœurs, qu’elle ressemblait à un petit pruneau trop sec, trop brun, avec sa maigre silhouette et son visage aigu. Seuls ses yeux et ses cheveux étaient beaux. Mais Marie était rarement bien coiffée. D’ailleurs, elle affectait de se moquer de son apparence, elle que l’on n’affublait que de pauvres robes de laine ou de grosse toile. A Hortense, adorable poupée toujours rieuse, toujours de bonne humeur, les jolies toilettes et les baisers distraits de leur mère…
   Né à Rome de parents romains, le cardinal Mazarin avait eu un frère et quatre sœurs. Deux d’entre elles s’étaient bien mariées, la tante Martinozzi et Geronima, la mère de Marie – la baronne Mancini. C’étaient elles et leurs familles que le cardinal installait peu à peu à Paris afin d’établir un système d’alliances avantageuses. Jules Mazarin, s’il plaçait fort haut le bien de la France, aimait aussi avec passion le luxe, l’argent et toutes sortes de possessions terrestres. Une revanche de parvenu sur une origine des plus modestes. Son père n’avait été qu’un obscur intendant de la prestigieuse famille Colonna., mais le prince l’avait pris en affection et lui avait fait épouser l’une de ses riches filleules, Hortense Buffalini. Mais Jules n’était pas le seul à être ambitieux. Son frère cadet, Michel, devint archevêque puis cardinal d’Aix, et enfin vice-roi de Catalogne. C’était dans son palais d’Aix que devaient s’installer les deux sœurs et leurs familles avant leur arrivée à Paris.

    Dès la naissance de Marie, le 28 août 1639, son père Michel Laurent Mancini, d’une famille noble quoique sans éclat ni fortune, féru d’astrologie, fit l’horoscope de l’enfant en prédisant toutes sortes de catastrophes, qui ne manqueraient pas de rejaillir sur la famille. Marie était trop jeune lorsqu’il mourut pour garder un clair souvenir de son père, mais la fâcheuse prédiction affecta beaucoup sa mère. Elle la relégua dans un couvent romain, le Campo Marzio de l’ordre de Saint-Benoît, mais Mazarin appela Marie à ses côtés. Comme Geronima dépendait entièrement des largesses de son frère, il fallut bien le contenter et se résoudre à faire sortir Marie de son couvent. Quant aux deux cadets, Philippe et Marianne, ils resteraient encore quelque temps à Rome, sous la surveillance d’une autre de leurs tantes.

    Pendant huit mois, l’on demeura à Aix. Le temps d’établir le contrat de mariage de Laure et de Louis II de Vendôme, duc de Mercoeur, et de fixer les détails de la cérémonie. Ce répit avant la présentation officielle de la famille Mazarin à la cour de France fut occupé à commander des toilettes à la mode de Paris, à apprendre aux demoiselles la grande révérence de cour, à les familiariser avec l’étiquette du Louvre et les usages mondains.
    Puis ce fut la longue route jusqu’à Paris, l’arrivée dans la capitale et l’installation dans le palais du Louvre. Un bâtiment ancien, sombre et humide. Même si certaines parties, magnifiquement rénovées par la reine Anne d’Autriche, tranchaient par leur somptuosité sur la morosité des vieux murs. Marie était terriblement déçue. Leur propre appartement lui parut aussi étriqué que sinistre. Aussi la baronne Mancini se hâta-t-elle de remettre Marie au couvent, tandis qu’Hortense partait rejoindre Olympe dans l’hôtel de leur sœur aînée.
    L’enfermement, la solitude, le désenchantement, tel était l’éternel lot de Marie, même si l’intérêt que lui portait la supérieure, Mme de Lamoignon, parvenait parfois à la réconforter. Cette femme intelligente et libérale, séduite par la précoce intelligence de Marie et sa soif d’apprendre, mit à sa disposition toute la bibliothèque du couvent. Philosophes antiques, auteurs de romans de chevalerie, dramaturges contemporains, Marie, sans aucune méthode, dévorait tout ce qui lui tombait sous la main. Lire, encore et toujours, et s’enivrer de savoir.

    De nouvelles émeutes éclatèrent à Paris. Paul, le frère de Marie, ne survécut pas aux blessures reçues le 2 juillet 1652 lors des combats du faubourg Saint-Antoine, l’un des derniers assauts menés par les Frondeurs. Marie avait peu connu ce frère, qui avait rejoint la France bien avant elle, mais elle fut bouleverse par cette nouvelle. Mourir à seize ans était d’une effroyable injustice. A l’enterrement, l’enfant fut épouvantée par le cercueil englouti dans sa fosse.
   A plusieurs reprises, on la sortit du couvent. Vêtue à la hâte de somptueuses robes de toile d’or ou d’argent, elle assista aux fiançailles, puis aux mariages de ses deux cousines Martinozzi. La première, Laure, se fiança avec Alphonse d’Este. Son mariage la ferait duchesse de Modène. La seconde, Anne-Marie, épousa Armand de Bourbon, devenant ainsi princesse de Conti.
    Nul ne se souciait de l’enfant. Marie n’avait jamais vu en privé son redoutable oncle, elle n’avait que brièvement salué la reine, le roi, Monsieur ou les autres princes et princesses du sang. Il lui semblait qu’elle était devenue transparente. Personne ne la regardait. Sitôt les cérémonies familiales achevées, on la reléguait dans son triste couvent. Les années passaient. Marie lisait, lisait à s’en brûler les yeux, lisait encore et encore, pour ne plus pleurer, certaine que sa mère ne voulait pas d’elle et que son oncle l’avait bel et bien oubliée.


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