L'art Brut à Lausanne
Au château de Beaulieu, à Lausanne,
la Collection d’Art Brut de Jean
Dubuffet
Princesse de conte de fées d'Aloïse |
Né au Havre et mort à 84 ans à Paris le 12 mai 1985,
Jean Dubuffet est le premier théoricien d’un art dit Art Brut, qui inspira sa
propre production, faite de peintures et d’assemblages qualifiés de collages,
mais aussi de sculptures et de monuments, tels que L’Hourloupe, la Closerie Falbala ou la Villa Falbala, en même temps qu’il ne
cessait de critiquer les arts culturels alors reconnus, notamment dans son
ouvrage Asphyxiante Culture.
Des
expositions qui firent scandale
Sa première exposition, le 20 octobre 1945, à la
galerie René Drouin, suscita alors un véritable scandale. Suivit quatre ans
plus tard une seconde exposition, L’Art
brut préféré aux arts culturels. La virulence de ses convictions, ces
créations si différentes de celles de l’art traditionnel qu’il faisait ainsi connaître
aux Français le propulsèrent sur le devant de la scène artistique, qu’il fût
encensé ou vivement critiqué. Si bien que le Musée des arts décoratifs de Paris
lui ouvrit ses portes du 16 décembre 1960 au 25 février 1961 pour y exposer une
rétrospective de quatre cents peintures, gouaches, dessins ou sculptures. Pour
lui, une consécration.
Fresque puissamment colorée d'August Walla |
L'univers onirique d'henry Danger |
Un art
affranchi de toute culture
Amoureux d’un art qui serait affranchi de tout
contexte culturel ou social, Jean Dubuffet s’est toute sa vie passionné pour
les créations marginales de pensionnaires d’hôpitaux psychiatriques, détenus,
êtres asociaux ou marginalisés, enfin n’importe quelle « opération
artistique toute pure, brute, réinventée par son auteur, à partir seulement de
ses propres impulsions ». Il rassembla ainsi plus de 60 000 œuvres de
400 auteurs, cette collection étant la propriété de la Compagnie de l’art brut,
fondée en 1948. Devant le peu d’enthousiasme que suscita cette collection
auprès des officiels français et en particulier d’André Malraux, il accepta
l’offre de la ville de Lausanne et la
lui légua. Elle fut ainsi exposée pour la première fois dans son intégralité en
1976 dans ce château de Beaulieu datant du XVIII è siècle, ensuite agrandi et
réaménagé. Les artistes sont des fous, des criminels, des êtres en marge dont
les œuvres expriment la plupart du temps un cri, une souffrance ou parfois un
charmant univers enfantin de petite fille croyant encore en la venue du prince
charmant, telle l’artiste devenue célèbre bien malgré elle, Aloïse Corbaz,
mieux connue sous le nom d’Aloïse.
Masques en glaise de Stanislas Zagajewski |
Masques en coquillages de Philippe Dereux |
Aloïse, la
plus touchante
C’est sans doute parce qu’elle touche la part
d’enfance qui demeure en chacun de nous qu’Aloïse nous semble la plus
touchante. Une mère d’origine paysanne et morte quand elle avait onze ans, un
père postier ne peuvent bien sûr satisfaire les rêves de grandeur et d’amour
d’Aloïse. D’abord amoureuse d’un prêtre français défroqué, puis de l’empereur
Guillaume II, Aloïse rentre dans sa Suisse natale juste avant la Première
Guerre mondiale, sans toutefois oublier son grand amour, inassouvi bien sûr,
pour l’empereur. « Que ne puis-je retremper mon âme en feu dans les yeux
de firmament constellé d’étoiles d’un homme inaccessible que j’aime
éperdument », écrira-t-elle.
En 1918, elle fut hospitalisée pour schizophrénie à
l’asile de Cery de Prilly. Deux ans plus tard, elle fut définitivement internée
à l’asile de la Rosière de Gimel, où elle eut la charge de raccommoder et
repasser les tabliers des infirmières. Ce fut sur cette table qu’elle commença
à dessiner, à peindre ou à coudre son féerique univers de contes tout en le
commentant sur le tableau même. Son médecin généraliste, Jacqueline
Porret-Forel, s’intéressa à son œuvre qui fit l’objet d’une thèse et de divers
articles.
Ce fut en 1947 que Jean Dubuffet, qui avait lu ces
articles, la rencontra, l’encouragea et en fit la figure majeure de sa
collection. Enfin, cette même ville de Lausanne lui consacra une exposition
spéciale réunissant près de trois cents de ses oeuvres en 2012, intitulée Aloïse le ricochet solaire. Bien malgré
elle, sa renommée était faite !
Poisson en coquillages de Paul Amar |
Sortes de marionnettes d'ombre de Carlo Zinelli dit Carlo |
Femmes opulentes de Sylvain Fiesco |
Un art
impulsif né sur n’importe quel support
Comme l’explique Michel Thévoz, directeur de cette
collection de 1976 à 2001 : « Les œuvres sont, dans leur conception
et leur technique, largement indemnes d’influences venues de la tradition ou du
contexte artistique. Elles mettent en application des matériaux, un savoir
faire et des principes de figuration inédits, inventés par leurs auteurs et
étrangers au langage figuratif institué. La déviance favorise la singularité
d’expression et celle-ci accentue en retour l’isolement de l’auteur et son
autisme, si bien que, au fur et à mesure qu’il s’engage dans son entreprise
imaginaire, le créateur se soustrait au champ d’attraction culturelle et aux
normes mentales. »
On a parfois voulu rapprocher l’Art Brut de l’art
enfantin, naïf ou primitif. Même s’il y souffle le même vent, l’Art Brut ne
subit aucune influence. Sa violence, déclenchée par un vécu difficile, folie,
meurtre, mort, exil ou guerre, ne produit que des « œuvres
orphelines ». Elle ne fait jamais école. La création devient une nécessité
vitale qui accompagne l’artiste sa vie durant. Il ne peut pas ne pas créer.
Cet art, inné et impulsif, jamais appris dans une
quelconque école, non destiné à être commercialisé, servit souvent à canaliser
les pulsions suicidaires ou violentes de leurs auteurs ou à aider des fous ou
des autistes à s’exprimer. Ces œuvres d’art brut peuvent se révéler sous forme
de dessins, peintures ou pastels, sculptures sur bois, pierre, assemblages de
coquillages (Pierre-Désir Maisonneuve ou), laines ou rebuts de toute sorte,
broderies (Madge Gill) ou n’importe quels travaux d’aiguilles. Elles peuvent
être de toutes tailles, exprimer un univers magique ((Henry Darger) ou
ténébreux (Adolphe Wölfli ou Laure Pigeon), donner forme à d’étranges créatures
( Curzio Di Giovanni, Heinrich Anton
Mûller, Johann Hauser ou Carlo Zinelli) ou à un monde rêvé.
Collection de l’Art Brut Lausanne
11, av des Bergières, CH-1004 Lausanne, Tél. : +
41 21 315 25 70 et www.artbrut.ch
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