EN NORVEGE

 

La Norvège de fjord en fjord

Obélisque de Vigeland à Oslo

Les sculptures de Vigeland

La forteresse d'Oslo

Le port d'Oslo

 

          

         Après l’arrivée à Gardemoen, le nouvel aéroport international capable d’accueillir douze millions de passagers par an, un bus permet de gagner la capitale, située à 47 km plus au sud. Le port d’Oslo semble posé sur une eau bleue ponctuée des taches blanches des bateaux de plaisance, les montagnes servent de toile de fond et la verdure des berges et de la large presqu’île de Bygdoy offrent une impression de sérénité.

         Au centre ville, au 53 de la rue Toyengata, a été édifié un beau musée tout neuf consacré aux œuvres, plus de mille, de Munch, le plus grand peintre norvégien. Ce prodigieux ensemble de toiles ou fusains réalisé dans des teintes sombres, avec des contours puissants, révèle des visages souvent déformés par la souffrance ou l’angoisse, exprimant les tortueux méandres de l’esprit humain. On en émerge bouleversé, dérangé, différent sûrement. Parmi les toiles exposées de façon permanente, Le Cri bien sûr, peut-être l’œuvre la plus célèbre de Munch, mais aussi Jalousie, L’Enfant malade, une représentation de la souffrance de sa petite sœur Sophie, qui l’avait marqué à jamais, Le Baiser ou Mélancolie, et un portrait de Nietzsche annonçant déjà la folie du grand philosophe qui avait été son ami.

         Au milieu du port, l’Aker Brygge forme un espace bien rénové où les vieux entrepôts ont été transformés en immeubles design, avec bars flottants et ponts terrasses aménagés, un peu comme à Brighton, en Angleterre. Une jeunesse saine, blonde et hâlée prend d’assaut les sièges des terrasses en buvant force bières. Certains semblent déjà assez ivres. Au Celsius, on peut déjeuner agréablement de salades ou de tapas.

         Au nord-ouest de la ville s’étire la grande artère de Kirkeveien. D’impressionnantes grilles Art Déco ouvrent sur le Frognerparken, le parc aménagé pour recevoir les œuvres gigantesques de Gustav Vigeland, le célèbre sculpteur. C’est une succession de nus puissants et souvent chauves, mêlés les uns aux autres, exprimant aussi bien une joie de vivre féroce qu’un épuisement charnel, la tendresse maternelle ou la passion. Statuaires réalisées, pour la plupart, dans un fin granit de Norvège du plus bel effet. Un énorme phallus se dresse vers le ciel d’Oslo, le fameux obélisque de Vigeland.     De jeunes mamans promènent leurs enfants entre les statues, indifférentes à la forêt de sexes érigés là. Parmi l’athlétique peuple de pierre de Vigiland, le Sinnataggen, l’enfant en colère piétinant le sol, serrant ses deux petits poings rageurs, figure l’emblème de la ville.

         Au musée Kon-Tiki, on peut admirer le radeau sur lequel Thor Heyerdahl et ses cinq compagnons étaient partis du Pérou, en 1947, pour gagner la Polynésie française au gré des vents.

A bord de l'Express Côtier

Le village de pêcheurs de Mandal

L'église en bois debout de Fantoft

 

         En quittant la capitale pour suivre la côte vers le sud, on parvient à Kristiansand. Si le port industriel emprisonne la ville en son étau de grues, buildings flambant neuf, entrepôts et fabriques diverses, le vieux centre évoque un village de poupées, avec ses anciennes maisons de bois peintes en blanc, bien alignées le long de ruelles se croisant à angles droits, ses jardinets pour rire, ses boutiques vieillottes. Le Fylkesmuseum est un insolite musée en plein air donnant une bonne idée de l’habitat traditionnel en Norvège avant l’ère industrielle, aux curieux toits couverts d’herbe. Il faut ensuite prendre un verre au Kick Café, agréable et décontracté avec sa vaste cour intérieure, bien situé au centre de la ville, avant de filer vers Mandal, 45 km plus à l’ouest. La route épouse bien la côte la plus méridionale du pays.

         Cet ancien village de pêcheurs campé autour de son petit port exhibe ses maisons aux teintes vives, toujours en bois, laissant parfois place à des jardins exubérants, ses rues tortueuses où il fait bon se perdre. Mandal Beymuseet est une riche demeure toute blanche ayant appartenu à un marchand au XIX è siècle, encore meublée comme autrefois. Y sont exposées les œuvres du peintre paysagiste Amaldus Nielsen, un enfant du pays. Des fenêtres de la maison, on aperçoit le port et l’étalement majestueux du fjord.

         Au restaurant du Dr. Nielsen, situé sur le port, on peut déjeuner d’un assortiment de poissons fumés et d’huîtres, avant de gagner le phare de Lindesnes. Blanc et massif, coiffé de rouge, campé près de la minuscule maison du gardien qu’il semble protéger, il domine de son promontoire rocheux l’étendue du fjord et l'on y jouit d'une vue incomparable. Les innombrables oiseaux marins nichant dans les falaises, occupés à nourrir leurs petits, font un vacarme étourdissant. Plus loin, au minuscule port de Flekkefjord coincé entre mer et montagnes, on visite l’ancien quartier hollandais avant de se rendre à Stavanger, simple bourgade des années soixante-dix métamorphosée en une ville bien moderne, coquette et pimpante, ayant su rénover avec goût ses vieux quartiers. Dans la vieille ville, les antiques maisons de bois sont redevenues toutes gaies grâce aux revenus du pétrole et les beaux entrepôts de la Standard Oil et de Mobil ont été bien réhabilités. Une imposante cathédrale gothique se dresse non loin du musée de la Marine retraçant l’histoire de la navigation locale, puis la vie sur une plate-forme pétrolière. 

 

Vers le port de Vik

Boutique de trolls au marché aux poissons

L'élégant port de Bergen

         Le bus file vers Preikestolen, l’un des plus impressionnants fjords de Norvège. Il faut bien quarante minutes de traversée de la vaste baie de Stavanger pour parvenir au petit port de Tau, puis à Jossang et au point de vue de Preikestolen, sorte de « Chaire » naturelle dominant de huit cents mètres les eaux vertes du Lysefjord et semblant avoir été taillée dans la falaise par la main de quelque géant fou. Si l’on n’est pas sportif, s’abstenir, car il faut près de deux heures d’une marche difficile pour y parvenir. Pour y monter, il faut ensuite enjamber une belle faille puis, pour avoir la meilleure vue sur le fjord, on doit s’allonger sur la roche et ramper jusqu’au bord dans une posture plutôt ridicule, mais la vue est impressionnante.

 

         La prochaine étape est le port de Bergen, l’un des plus beaux de Norvège, une ville chargée d'histoire. Créée au XI è siècle, elle attira la puissante Ligue hanséatique de Lübeck et ses riches marchands y demeurèrent quatre siècles. Une succession d’incendies la ravagea au début du XVIII è. Pourtant, l’élégance du quai de Bryggen et de ses hautes maisons de bois reconstituées, son marché aux poissons tout frais péchés et son musée hanséatique en font un incomparable séjour... La pointe de Festningskaien ferme la rade au nord, comme un élégant cadenas posé sur l'eau bleue. L’une des quatre hautes maisons de bois rouges du quai de Bryggen a été aménagée en musée évoquant l’existence des riches marchands de la Ligue, au cours du XVII è siècle. Ils étaient alors deux mille à Bergen, soit le quart de la population, régnaient en maîtres sur la ville, avaient leurs propres lois, parlaient ostensiblement l'allemand et ne se mêlaient guère aux Norvégiens. A l'étage vivaient le marchand et sa famille. Un passage secret habilement dissimulé dans les boiseries avait été aménagé pour livrer passage à ses maîtresses. A cette époque, on avait si peur de la mort que l'on dormait assis, ce qui explique la taille réduite des lits, enfermés dans de simples placards. Malgré la dureté des hivers, on ne chauffait plus les maisons par crainte des incendies. Quelques chambres presque sordides évoquent la vie plus que dure de ces enfants apprentis venus d'Allemagne et travaillant sur les docks dès l'âge de onze ans.

         Le Rasnmus Meyers Samlinger rassemble les collections d'art d'un riche critique et surtout une salle entière consacrée à Munch avec, entre autres, les tableaux Mélancolie, Les Quatre Âges de la femme et Jalousie. Le Tracteursted, le meilleur restaurant de la ville, est situé au fond de l'élégant ensemble des maisons hanséatiques reconstituées et offre évidemment des spécialités de poissons.

         Un bus local permet ensuite de gagner Troldhaugen, la colline des Trolls, la maison d'Edvard Grieg, le plus célèbre des musiciens norvégiens, qui naquit dans cette cité en 1843. Après une vie itinérante de villes en villes et de concerts en concerts, Edvard et sa femme Nina s'installèrent définitivement à Bergen en 1855, jusqu'à la mort du compositeur en 1907. Un auditorium moderne a été créé sur le site, en bordure de lac, pour écouter la musique du compositeur, mais on peut aussi visiter sa maison de style victorien, toujours meublée comme à l'époque, avec ses tableaux, instruments de musique, partitions et photos personnelles. Ce fut dans le chalet qu’il se fit construire tout près qu’il composa sa célèbre Sonate pour violon en do mineur. Sa tombe, creusée dans la falaise, figure un monument assez mégalo pour cet immense musicien qui fut toujours complexé par sa très petite taille, il ne mesurait qu'1,53 m, comme le montre sa statue à l'échelle réelle. Il faut ensuite se rendre à la curieuse église en bois debout de Fantoft, édifiée au XII è siècle, les poutres la constituant étant plantées à la verticale dans le sol, ce qui est bien plus solide. Une navette permet de gagner l'île de Lysoen, où s'élève une curieuse construction rococo, qui parvient à ressembler à la fois à une isba russe et à un palais des Mille et Une Nuits. Elle est située dans de beaux jardins agrémentés de pièces d'eau.

         A Bergen, on embarque à bord de l’Express Côtier qui file vers le grand Nord. La compagnie, la Hurtigruten, existe depuis 1893 et a été fondée pour explorer 2400 km de côte. Elle dispose à présent d’une flotte bien modernisée et confortable. On peut dormir à bord et demeurer sur le même bateau ou descendre de port en port, visiter et prendre le suivant. Certains bâtiments accueillent plus de 800 passagers.

Le port d'Alesund le chenal de l'Anguille

L'impressionnant port de Tromso

Un troll facétieux

Encore un troll !

 

         La première escale est Floro, petit port aux maisons gaîment bariolées, bâties sur pilotis au bord de falaises abruptes. Le bateau y relâche une pleine journée, le temps d’une excursion vers Balestrand, puis le village de Vik et ses deux églises, parmi les plus anciennes de Norvège. Balestrand est par malheur affligée de quelques constructions trop modernes, semblant presque agressives dans ce paysage millénaire de fjords très découpés surplombés par de hautes montagnes. Son église de Saint-Olaf est aussi rouge que son célèbre hôtel Kviknes, tout festonné de blanc, évoquant la Belle Epoque, du temps ou l'empereur d'Allemagne Guillaume II aimait y venir en villégiature. A Vik, l’Hopperstad Stavkyrkje, encore une chapelle en bois debout, exhibe comme autant de figures de proue jusqu'à cinq étages de toits superposés, dotés d'animaux fantastiques défiant les visiteurs.

       Puis on regagne le bateau dont la prochaine étape est Alesund, littéralement le Chenal de l'Anguille, active ville portuaire bâtie sur trois îles, semée de pimpants entrepôts peints de couleurs vives, pourvue de jolies terrasses de cafés et  d'élégants édifices Art nouveau. On peut y visiter le musée de la Navigation et de l'Artisanat. Un chapelet d'îlots s'étire au large d'Alesund, ourlé d'une fine bordure écumeuse, et des milliers d'oiseaux nichant dans les creux des rochers s'ébattent en piaillant. De nombreux bassins aménagés en pleine mer servent de parc aquatique.

         Dans l’un des bassins, trois naïades semblent jouer avec leurs montures, des dauphins, passant de l'une à l'autre, multipliant les voltes et pirouettes, toujours récupérées à temps par les animaux qui paraissent s'amuser et se laissent outrageusement câliner. Puis paraissent deux orques tachetées de noir et de blanc. Majestueuses, monumentales. Redoutables prédateurs aux crocs acérés sur les dos desquelles les soigneurs ont l'air de surfer avec aisance. Elles fendent l'eau avec grâce, filent d'un bout du bassin à l'autre, s'échangent leurs cavaliers, plongent soudain tandis qu'ils effectuent des sauts périlleux, puis les récupèrent comme en les cueillant de la pointe de leurs museaux.

         Au Gullix Bistro, le meilleur restaurant de la petite ville situé comme il se doit sur les quais, le décor rustique figure la cave d'un brocanteur. On y sert l'éternel menu de la mer à base de poissons divers. Au bout de l'île de Godoy, on aperçoit la massive silhouette du phare d'Alnes, d'une blancheur éblouissante rayée de bandes rouges. Eva tient un café dans la pimpante maisonnette jouxtant le phare dont son aïeul avait été le premier gardien, en 1876, proposant son Lighthouse Cake, un gâteau crémeux et fondant à souhait. En contrebas s'étale une petite plage doucement léchée par les vagues.

         A Alesund toujours, une belle bâtisse de pierre grise, l'Alesund Vandrerhjem, permet une halte confortable en attendant l'arrivée du prochain ferry. Ou du suivant. Au Café Brosundel, tout proche, la salle à manger est chaleureuse, avec son ambiance rustique et l’aimable hôtesse proposant  bien sûr les inévitables poissons tout frais pêchés.

         Poursuivant sa course vers le grand nord, le bateau s'engouffre dans l'étonnant fjord de Gerranger. Le village, tapi au fond des roches, paraît bien insignifiant, presque fragile parmi ces bouleversements chaotiques portant encore l'empreinte de la colère des dieux. Même le majestueux navire semble incongru parmi ces splendeurs minérales, ces éboulis multiples, ces hautaines falaises, spectaculaire résultat du travail séculaire d'une mer désireuse d'embrasser la terre de son éternelle étreinte.

         Après avoir regagné la haute mer, le bâtiment double sans s'y arrêter le petit port de Molde veillé par ses quatre-vingt-deux glaciers, Bud et sa frange d'îlots, paradis des oiseaux de toutes plumes, pour se diriger vers Trondheim, où il fait escale pour la nuit et y reste à l’ancre la matinée. A la différence du précédent fjord, celui de Trondheim abrite une ville véritable, la troisième de Norvège, fondée dès le X è siècle par le roi Olaf, qui s'était converti à la foi chrétienne et fit de sa cité un centre de pèlerinage dont l'importance ne cessa de croître au fil des ans. Le célèbre musée de la Musique s’abrite dans une maison particulière datant du XIX è siècle, bien conservée et pleine de charme. L'impressionnante cathédrale gothique, romane dans ses parties les plus anciennes, est pourvue d'un rare choeur octogonal datant du Moyen Age. Au Café Dali se rassemble la jeunesse estudiantine de la ville, y déjeunant de clubs sandwiches bien arrosés de bière.

Le majestueux port de Tromso

Et ses maisons bariolées

 

Lorsqu'on franchit le cercle polaire, un orchestre joue l'hymne norvégien sur le pont supérieur, puis des airs plus entraînants incitent les passagers à danser. Des membres de l'équipage, grimés qui en sirènes qui en tritons, vendent à prix d'or des certificats attestant que l'on a bien franchi ce fameux cercle, ligne de démarcation imaginaire. Le paysage pourtant a changé. Les sombres forêts ont fait place à des collines pelées, battues par les vents. On annonce le passage de deux baleines et de leur baleineau. On aperçoit d'abord un geyser d'eau, puis une masse grise et une seconde bondissant hors de l'onde pour plonger soudain, toutes deux déployant le double panache de leurs queues. Le petit, déjà de bonne taille, folâtre aux côtés de ses parents. Ils ont l'air de s'amuser et même de parader devant ces spectateurs improvisés, follement libres et fiers et déjà si menacés.

         On arrive à Bodo, port d'embarcation pour les îles Lofoten ou les îles Vesteralen. Quelques immeubles trop hauts et trop modernes dépareillent quelque peu le site, sans parvenir à le gâcher tout à fait. Au large, les silhouettes tourmentées des îles, ourlées de blanc, le port bordé des habituelles maisons de bois bariolées, l'agitation incessante des bateaux de tout tonnage offrent l'habituel spectacle, toujours savoureux. Visite du marché aux poissons et aux fruits de Storgata.  

Après quarante minutes de trajet dans un paysage devenu plus austère avec la proximité du Grand Nord, le minibus réservé au ferry franchit le pont bien moderne enjambant le cours d'eau et s'arrête dans le parking prévu pour les visiteurs. Des canots à moteur permettent aux audacieux de voir le maelstrom de plus près en se donnant quelques frissons à la perspective d'être emporté par le tourbillon. En effet, quatre fois par jour, au gré des marées, la mer produit de forts flux et reflux quand elle s'engage dans un passage plus étroit. Alors, quatre cents millions de mètres cube d'eau s'engouffrent à une vitesse pouvant atteindre 40 km heure dans un boyau de cent cinquante mètres de large sur trois kilomètres de long, causant de puissants tourbillons atteignant jusqu'à dix mètres de diamètre. Un premier remous avant-coureur, puis un autre, en sens contraire, annoncent le phénomène. En se rapprochant, les deux courants prennent de l'ampleur, l'affrontement devient inévitable. Les canots pneumatiques dansent sur les vagues, se tenant à distance prudente des tourbillons. 

         Retour au ferry. Même si la profusion d'immeubles modernes et agressifs déparent quelque peu la beauté de l'île d'Austvagoy, les roches reflétées dans une mer au bleu immuable font pourtant de Svolvaer un port plein de charme. Il reste par chance quelques maisons de bois peints se mirant dans l'eau avec des grâces d'autrefois. Il n'y a pas grand-chose à admirer à Svolvaer, quelques magasins d'alimentation affichant des prix prohibitifs, quelques boutiques de souvenirs fréquentées par les touristes, l'habituelle beauté d'un port hanté par bien des embarcations et, surtout, ces pitons rocheux d'un autre âge, plongeant droit vers les flots, où nichent des colonies d'oiseaux tourbillonnants.

         On prend un nouveau minibus pour se rendre au petit village de Kabervag, situé à cinq kilomètres plus au sud. Toutes les maisons sont en bois, basses, comme alanguies au bord de l'eau pour y refléter leurs couleurs vives. Des voiliers ou des barques de pêche ont remplacé ferries ou Express Côtiers. Une seule place carrée abrite quelques boutiques et le joli bar-restaurant du Praestenbrygga, sur le port, où on déguste les fameuses pommes de terre en robe des champs arrosées d'un beurre aux aromates et de bière. On y visite une élégante église en bois, la Vagan Kirke, avant de se diriger vers l'aquarium.

Femme Samé à Tromso

Femme Samé et ses peaux de rennes

La jovialité des Samés


 

          De retour à bord, on entend le commandant annoncer, comme souvent à l'intérieur du Cercle Polaire, une prochaine aurore boréale. Il n'y a aucun nuage à l'horizon et le froid sec est favorable au phénomène. Des hôtesses passent entre les spectateurs, distribuant petits sandwiches aux œufs de saumon et verres d'aquavit. Un murmure court parmi la foule, qui se rapproche des bastingages. On dirait qu'une onde verte court à l'horizon telle une mince ligne frisant la mer. Puis elle paraît acquérir vigueur et ampleur, rassemblant ses forces pour s'élever hors de l'onde en conquérant les airs. Elle tournoie à présent, nuée d'un splendide vert d'émeraude. Elle prend des poses, adoptant une forme puis une autre, figurant tour à tour des figures géométriques ou les animaux fantastiques de quelque Eden oublié. Elle devient sans cesse plus ample et plus majestueuse, plus vigoureuse aussi. On croirait que toute la mer se teinte de ce vert intense et lumineux.

         Puis le bateau poursuit sa route vers le Grand Nord et Tromso, l’ancien port de pêche à la baleine. Il fait nuit lorsque le ferry y parvient. Toutes ces petites lumières semblant posées sur l'eau, reflétées par les eaux du port et rendues plus lumineuses par la neige des glaciers enserrant la ville gardent un aspect irréel. Comme dans un conte de Noël, avant la venue du méchant ogre. Celle du phare s'élève plus haut que les autres et semble protéger la petite cité engourdie par l'obscurité. Un grand pont, lui aussi hérissé de lumières, barre la rade, reliant l'île de Tromso et le centre de la ville à la terre ferme.

Le lendemain, visite de la ville, où le Markens Grade est à juste titre réputé pour ses plats de pâtes et ses bières à la pression. L'ambiance vieillotte, le décor tout en bois, les innombrables instruments de cuisine pendant du plafond, la collection de bières, les tonneaux en guise de tables forment une ambiance chaleureuse.    La Storgata, la rue principale, est bordée de jolies maisons peintes et de boutiques attrayantes. A 4 km de là, le Tromso Museum renferme la salle des Vikings et de l'art religieux, puis un premier étage consacré aux Samés, que l'on appelle plus couramment les Lapons.

         Même s'ils ne sont plus que trente mille en Norvège, ce peuple courageux, habitué aux plus grands froids et à la vie rude des chasseurs et éleveurs de rennes, perpétue une tradition millénaire, pourtant en train de disparaître. Ses jeunes, comme partout, délaissent les traditions ancestrales et une existence austère pour se tourner vers le confort occidental. Ce peuple de chasseurs venu de l'Oural puis remonté vers le Nord sur les traces du gibier, concentré en Norvège dans les huit provinces du Finnmark où l'on parle leur langue, le sâme, est depuis 1989 doté d'un Parlement. Sa vie traditionnelle, organisée autour de la grande transhumance des rennes en avril, quand les femelles, sur le point de mettre bas, se rapprochent des pâturages des bords de mer, s'est également modifiée. Un quota a été établi pour éviter l'agrandissement exagéré de ses troupeaux, détruisant les cultures. Aussi les Samés doivent-ils abattre chaque année un nombre considérable de bêtes, sacrifiant de préférence les mâles aux femelles. Certains ont alors trouvé plus rentable de s'établir dans les villes du Grand Nord pour y attendre les touristes, friands de leurs jolis costumes rouges et bleus, richement brodés, de leurs amusantes coiffes rouges, de leurs attelages de rennes. A Pâques, leur festival a lieu à Kautokeino, dans le Grand Nord arctique. C'est là que se rassemblent tous les Samés pour y fêter la transhumance.

La Cathédrale Arctique, vaste ensemble de béton immaculé, triangulaire, barré d'une immense croix centrale, semble surgie du glacier qui la surplombe. Face à l'oeuvre de Jan Inge Hovig, on ne voit d'abord qu'un seul triangle, mais si l'on se déplace sur le côté, on constate qu'elle est en réalité formée de divers triangle semblant s'emboîter les uns dans les autres. Multiples triangles aussi pour remplacer les habituelles voûtes intérieures jusqu'à l'autel, surmonté par l'éblouissant vitrail de 23 mètres de haut, une création de Victor Sparr renvoyant avec prodigalité ses parcelles de couleurs sur la blancheur des murs.

         La Tromso Domkirke, en fait la vraie cathédrale, la plus belle église en bois de Norvège, dit-on, est une construction néogothique pourvue de beaux vitraux. De l'autre côté du pont, au départ du Fjelheisen, un funiculaire monte à l'assaut de la colline Floya. De la cabine, on aperçoit d'un côté la neige et les montagnes, et de l'autre le fjord, le port, l'immense pont et toute la ville de Tromso.

         Le ferry reprend sa course vers l'extrême Nord. Il ne s'arrête pas à Alta comme autrefois, plus à l'intérieur des terres, mais continue vers Hammerfest, où il passe quelques heures. C’est un charmant petit port aux entrepôts et maisons de bois bariolés, léché par l'océan glacial arctique. Les moustiques sont légions et il faut prévoir une bonne provision de sprays. Les Samés sont bien au rendez-vous, vendant leurs peaux de rennes et leurs broderies dans leurs jolis vêtements colorés de bleu et de rouge. Leurs larges pommettes et leurs yeux bridés, leurs peaux cuivrées et leurs cheveux très noirs forment un bizarre contraste avec le reste de la population norvégienne. Quelques rennes mélancoliques, un peu pelés, broutent ce qu'ils peuvent dans les rachitiques jardins des habitants.

         Puis le ferry gagne Honningsvag, où il jette l'ancre deux heures plus tard. Le dernier bus, celui de 23 heures, peut effectuer de nuit les trente kilomètres de route sinueuse menant, par le fameux tunnel creusé en 1999, à l'île du Cap Nord et à sa falaise. A la lumière des phares, ces paysages du bout du monde semblent irréels. Blocs de rocs erratiques, molles collines pelées et balayées par les vents, noirceur insondable des abîmes marins.

Une morne étendue de béton cerne par malheur la falaise, mais on peut s'arrêter juste avant l'entrée payante du parking, pour s'aventurer sur l'autre falaise, celle jouxtant le Cap Nord proprement dit. De là, on jouit d'une vue époustouflante, mais l’endroit n’est pas surveillé et dépourvu de barrière de protection. Une glissade et l'on se retrouve en miettes, trois cent mètres plus bas…

 

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