FUNERAILLES A SULAWESI
Funérailles sacrées chez les Torajas de Sulawesi
Village mortuaire à Silanang Détail de la maison du mort Les petites filles se font belles
Après ces vacances de la Toussaint,
partons pour Sulawesi assister à d’autres rites funéraires, ceux des Torajas. En plein cœur de Sulawesi,
anciennes Célèbes, le pays Toraja s’étend sur de molles collines couvertes de
jungle et de rizières, coupées de falaises servant de sépultures. Là veillent
les effigies des morts.
A Partir de la capitale, Rantepao, grosse bourgade
agricole blottie autour de la rivière Sundai Sadang, le meilleur moyen
d’explorer les ravissants villages torajas aux maisons de bambou semblables à
des bateaux, Keta, Londa, Tondok, Siguntu ou Lemo pour ne citer que les plus
beaux, est la moto. Comme on ne trouve ni carte ni indication et qu’on se perd
vite dans la jungle, le choix d’un guide motorisé parlant anglais résout les
difficultés. Ce sera lui aussi qui saura trouver en pleine jungle ce curieux
« village du mort » spécialement bâti pour des funérailles qui
dureront une semaine.
Durant sa vie, on prépare sa mort
Sacrifice du premier buffle |
Même s’ils ont été en grande partie christianisés au début
du siècle par des missionnaires leur ayant fait abandonner leurs pratiques de
coupeurs de têtes cannibales, les Torajas restent aussi animistes et les
prêtres catholiques ou protestants ont la sagesse de ne pas les contrer. Sa vie
durant, le Toraja, homme ou femme, préparera ses funérailles en accumulant
richesses et troupeaux, car elles sont coûteuses et seuls les sacrifices
d’animaux, cochons et buffles d’eau, lui permettent le voyage vers le Puya,
l’au-delà, le pays des ancêtres. Parfois, la famille du mort attend des mois,
voire des années, d’avoir rassemblé l’argent nécessaire aux funérailles qui
réunit deux à trois cents personnes. Le mort, embaumé dans du formol, continue
alors d’habiter la case familiale ou tongkonan, cette élégante maison de
bambou ornée à l’entrée de cornes de buffles. Il dort avec la famille censée le
nourrir en lui apportant des aliments en offrandes.
Quand on a enfin l’argent, le sorcier détermine où se
construira le village du mort pour qu’il puisse, après avoir gagné le Puya,
revenir parmi les siens comme un dieu titulaire que l’on invoquera pour les
récoltes, la santé et la prospérité de sa famille. Le mort est alors placé dans
un cercueil cylindrique peint de couleurs vives et souvent décoré à la feuille
d’or, puis conduit dans son nouveau village, exposé dans sa maison miniature.
Cercueil de femme de Parinding |
Fabrique de Tau-tau à Marante |
Tombes dans les falaises de Londo
Tau-tau à Marante |
Tau-tau à Lemo |
Lavater, mon guide motorisé, a entendu parlé d’importantes
funérailles qui auront lieu près de Sillanan, à cinquante kilomètres au Sud de
Rantepao. Le mort étant un riche éleveur de Sillanan, les funérailles seront
grandioses et la famille a promis de sacrifier soixante buffles ! J’achète
une cartouche de cigarettes, mon offrande à la famille du mort, et nous voilà
partis par les chemins cahotant sillonnant la jungle. A l’orée de la forêt où a
été bâti le village du mort s’étendent des rizières en terrasses. Une foule
immense converge vers le nouveau village, poussant les buffles qui seront
offerts en sacrifices ou portant des perches de bambou sur lesquelles sont
ligotés des porcs glapissant qu’on tuera aussi pour nourrir les assistants et
la famille du mort. Certains ont en équilibre sur la tête des paniers pleins de
victuailles, d’autres brandissent de larges bambous débordant d’une mousse blanche.
C’est le tuac, ou vin de palme que l’on boira en l’honneur du mort, car
les funérailles torajas ne doivent pas être tristes, mais joyeuses.
Tau-tau ou morts aux balcons à Lemo |
Recueillement devant le cercueil |
Les porteurs de tuac
Lavater me présente à la famille du défunt qui m’accueille
gentiment et me convie à m’asseoir par terre à côté d’elle, autour d’une grande
nappe déployée, pour puiser avec les doigts dans une marmite où mijote le duku,
le plat traditionnel toraja, sorte de ragoût cuit avec des légumes. Je goûte
dans son bambou au tuac, un peu âcre et très alcoolisé. Les hommes de la
famille ont ceint leurs hanches d’un pagne de soie noire, les femmes, très
maquillées, portent de somptueux sarongs de couleurs vives brodés d’or. Je suis
la seule Européenne et on m’explique que ma présence est un honneur pour la
famille, qui me convie à grimper dans la maison du mort, pour me recueillir
devant son cercueil.
Pour un riche Toraja, on peut sacrifier une soixantaine
de buffles
Ensuite auront lieu les premiers sacrifices de buffles,
épreuve que je redoute et qui m’incite à boire pour l’affronter un autre bambou
de tuac... Pendant que je me recueillais devant le cercueil, trois
buffles ont été amenés au centre de la place du village funéraire, attachés par
une patte à un pieu fiché en terre. Les joueurs de gongs frappent leurs
instruments de leurs paumes tandis que s’avance le sorcier, torse nu, un sarong
noir noué à la taille. Il brandit son parang, court sabre que les hommes
torajas portent passés dans leur ceinture. Un de ses aides prend l’anneau du
premier buffle et lui tire la tête en arrière. Le parang s’abat et le
buffle, presque décapité, vacille et s’écroule dans une mare de sang. Ses aides
introduisent alors des bambous dans la gorge du buffle sacrifié pour en
recueillir le sang, qui sera ajouté au duku... Le parang siffle
encore deux fois et les deux autres buffles s’écroulent à leur tour. Dans cette
chaleur moite, l’odeur du sang devient vite insupportable et j’avale un autre
bambou de tuac... Avec le sacrifice des premiers buffles, le mort, enfin
libéré de son enveloppe corporelle, peut commencer son long voyage vers le Puya.
La viande dans les cuisines de Silanang |
Fin du dépeçage du buffle |
Les joueurs de gongs tapent de plus en plus vite sur leurs
gongs, la musique devient lancinante, les danseurs s’avancent et commencent
leur danse mortuaire relatant les différentes phases de la vie du défunt, tandis
que les chanteurs célèbrent ses louanges. Les offrandes des voisins sont
portées en procession vers l’un des bâtiments provisoires servant de cuisine.
D’autres marmites de duku sont disposées un peu partout sur la place,
tandis que l’on dépèce les buffles. Le sacrifice des porcs se fait heureusement
plus discrètement derrière les maisons, mais je ne peux ignorer leurs affreux
hurlements.
Les morts au balcon
Trois mois plus tard auront lieu les secondes funérailles,
moins grandioses. L’artiste du village aura eu le temps de sculpter le tau-tau
de bois, l’effigie stylisée du défunt, dont la taille varie avec la richesse de
la famille. Comme il s’agit d’un notable, le tau-tau sera grandeur
nature. Le sorcier et ses aides portent le cercueil jusqu’au pied de la falaise
dominant Sillanan et percée de trous servant à ensevelir les morts. On y glisse
simplement le cercueil qui restera là, presque à l’air libre, jusqu’à sa
décomposition. Les ossements seront alors poussés sur le côté pour laisser la
place à un autre cercueil et ainsi de suite. Tout le pays toraja est ainsi
ponctué de ces grottes artificielles pleines d’ossements auxquels il ne faut
évidemment pas touché, ce qui dérangerait le mort. Contre la paroi de la
falaise, les villageois ont construit une sorte de balcon ressemblant assez à
un pont de singe. On y dispose les effigies des morts qui sont alors vénérés
comme de nouveaux dieux veillant sur les vivants : ce sont les morts au
balcon !
Si Lavater n’avait pas attiré mon attention, je serai passée dans la jungle près de ce frangipanier sans le remarquer. Il me montre qu’en plusieurs endroits, le tronc a été creusé, puis la cavité barrée d’une sorte de volet en bambou tressé. Là ont été ensevelis les bébés morts avant leur première dent de lait. Considérés comme trop faibles pour tenter seuls le difficile voyage vers le Puya, le sorcier a déposé leurs corps au sein de l’arbre, qui leur donnera un peu de sa force et leur permettra de grandir avec lui, poétique coutume toraja...
Ce voyage a été
organisé à la carte par Asia, 34, rue de Lisbonne 75008 Paris, Tél. : 01
56 88 66 00.
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