La chambre d’à côté 

                                                 de Pedro Almodovar



 

On aime tout de suite les deux personnages féminins principaux du film de Pedro Almodovar, La chambre d’à côté. Deux anciennes collègues journalistes ayant longtemps travaillé ensemble à New York et s’étant ensuite perdu de vue, Martha (Tilda Swinton), devenue reporter de guerre, et Ingrid (Julian Moore) à présent un écrivain à succès. Le film a été tourné en anglais. Les retrouvailles entre les deux amies se passent à l’hôpital où Martha, fatiguée, affaiblie, suit un nouveau traitement en espérant guérir son cancer. Ingrid, émue de la voir si courageuse et combattive, la revoit plusieurs fois. Les deux femmes évoquent leurs nouveaux boulots respectifs, des amies communes, la fille de Martha dont elle n’est pas proche, Damian, un homme qu’elles ont toutes deux aimé. Un jour, Ingrid la trouve en larmes : le nouveau traitement n’a pas marché, le cancer s’est métastasé, Martha n’a plus que quelques mois à vivre. Elle est décidée à interrompre un traitement douloureux, qui ne pourra pas la sauver et expose son plan à Ingrid, affolée : elle s’est procurée sur le Darknet la pilule suicide miracle, bien évidemment illégale. Son projet est de louer une belle villa à la campagne et d’y vivre des mois heureux avec Ingrid, jusqu’au moment où elle avalera la fameuse pilule. Ingrid est réticente, elle ne se sent pas assez proche de Martha pour accepter ce rôle difficile, elles s’étaient trop longtemps perdues de vue. Martha parvient à la convaincre. Ses autres amies ont refusé ce rôle, il ne reste qu’elle, mais elle devra rester prudente, se protéger des futures investigations policières en prétendant avoir tout ignoré de ce projet funèbre, car le suicide n’est pas légal en Amérique. Le jour où « la porte d’à côté », celle de la chambre de Martha, sera fermée, Ingrid devra comprendre que c’est arrivé et agir en conséquence.

Curieusement, ce film n’a rien de macabre. C’était au contraire un hymne à la vie, à tout ce qu’elle peut encore avoir de beau en dépit des guerres, de la violence partout, des catastrophes climatiques diverses et multiples. La villa, magnifique architecture futuriste laissant entrer la nature dans la maison, offre une impression de paix hors du monde. Les promenades en forêt, le chant des oiseaux, le jardin en fleurs, la surface paisible de la piscine où elles n’ont même pas nagé mais qui est là, comme une invite, les films regardés ensemble et la musique, les longs bavardages entre elles en évitant d’évoquer le but ultime de cette escapade heureuse font de cet entracte un temps magique. Quand le fardeau semble trop lourd à Ingrid, elle téléphone à Damian ou déjeune avec lui. Le seul au courant du projet, qui promet de l’aider, le moment venu.

Mais il n’y a pas de porte fermée dans la chambre d’à côté le jour X. C’est par une belle journée enchantée que Martha a choisi d’avaler la fameuse pilule. Elle a voulu mourir en plein air, sur la terrasse, comme endormie. Elle s’est même faite belle pour l’occasion, a laissé des lettres expliquant son geste et dédouanant son amie…

La grande force de ce film reste son évidence. Bien sûr que l’on doit avoir le droit de choisir le terme de sa vie. Bien sûr qu’il n’est pas criminel de mettre fin à ses jours et la médecine devrait autoriser des moyens simples, efficaces et indolore d’y parvenir. Et l’on devrait pouvoir agir sans dossier médical. Souvent, les blessures morales sont plus profondes que les autres, que la pire des maladies. On ne devrait rien avoir à justifier pour ce faire, une fois ses affaires mises en ordre. On ne choisit pas de naître, on devrait pouvoir avoir le choix de sa mort.

Almadovar a réussi là un film magnifique, plein d’espoir et de force, de joie de vivre savourée jusqu’à l’ultime limite. Rarement, un plaidoyer pour le droit de mourir n’a autant charmé son public.

Un silence profond règne dans la salle et aucun spectateur ne s’est levé avant la fin du générique. On n’entend pas un mot, pas un murmure. C’est un de ces films qui permet de croire encore un peu à la grandeur de la race humaine. C’est un film aussi courageux que magnifique.

 

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