Une vie de reporter
« Quand vous serez bien
vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et
filant,
Direz, chantant Ronsard, me
célébrez pareille,
Par les soirs éternels qui
passeront sans veille. »
Hélas, Ronsard n’est plus et ne
m’a jamais célébrée… Qu’expliquer lorsqu’on me demande, parfois, en quoi
consistait mon métier de reporter. Je répondrai que mon boulot tenait à rechercher
de par la planète les mecs ou les nanas le plus zarbis possible. Et ce n’était
pas ça qui manquait.
J’ai commencé au plus près, en
brossant les portraits d’hommes et de femmes de Lettres alors célèbres, qui se
croyaient peut-être éternels, mais ignoraient tout des progrès à venir. Ils ne
pouvaient imaginer des réseaux sociaux encensant des influenceurs ou
influenceuses aussi éphémères et arrogants sur Tik Tok que le danseur Akamz et
ses plus de 24 millions de followers ou Léa Elui, l’égérie de Givenchy. Le film
de Quentin Dupieux, L’Accident de piano, avec Adèle Exarchopoulos, excellente
avec ses dents en barbelé et son caractère de psychopathe, souligne avec talent
toute l’absurdité du système… Même chose pour les chanteurs, qui ont tout à
redouter de l’IA et de ses mélodies synthétiques.
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Avec mes copines geishas |
Puis on me paya ensuite pour
sauter dans un avion afin d’examiner les scientifiques fous du centre Darwin,
aux Galapagos, passant leur vie à mesurer le cou s’allongeant démesurément de
certaines tortues, à mesure que les cactus dont elles se nourrissaient
grimpaient vers le ciel. Ca se nomme les théories de l’Evolution. Il me fallut
aussi dénicher une île, Okinawa en l’occurrence, où l’on bichonnait les vieux
jusqu’à en faire des centenaires au lieu de les laisser, comme tout le monde,
crever en EHPAD. Ils sont fous, ces Japonais… Ils ont aussi des écoles où l’on
apprend aux belles jeunes filles à parler avec leurs éventails et d’autres,
plus sages, où on leur enseigne à tuer avec élégance grâce à un simple bâton.
Ca s’appelle l’art du Naginata et c’est plus efficace que l’éventail, par les
temps qui courent… Là-bas, les foules s’en vont admirer les cerisiers en
fleurs. C’est le Hanami. D’autres se prélassent dans des bains de vin ou de
thé, à Amagase par exemple, ou vont se recueillir dans des jardins sans fleurs
ni gazon. On dit qu’ils sont « zen ».
J’ai vu en Iran des lettrés venus
déclamer sur les tombes de leurs poètes, aussi somptueuses que des mosquées, telle
celle de Saadi, pendant que leurs ayatollahs commandaient de
« marier » les femmes condamnées à être pendues, c’est-à-dire qu’ils ordonnaient
au personnel masculin de la prison de les violer avant la sentence, Allah
interdisant de tuer une vierge ! Mais j’ai même vu des ayatollahs gentils
et pas machos pour deux sous. Sont-ils seulement toujours en vie ?
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Avec mon petit prof d'hindouisme |
J’ai eu pour profs d’hindouisme
des sadhus nus, ces sages évoqués jadis par Platon, qui allaient ensuite se
jeter dans le Gange au cours d’une Kumbh Mela, bientôt imités par une foule en
transe, oubliant qu’ils ne savaient pas nager. Heureusement, des filets avaient
été tendus en aval du fleuve pour récolter les corps des noyés. On n’est jamais
assez prudents, mais eux avaient ainsi réussi à arrêter la roue de la vie. On
m’a envoyée interviewer à Dharamsala un mec qui n’arrêtait pas de se
réincarner. Il vient de fêter ses 90 ans le 6 juillet dernier et s’interroge
déjà sur sa quinzième réincarnation. Le dalaï-lama, bien sûr.
A Amritsar, devant le superbe Temple
d’Or, j’ai foulé avec les pèlerins les dalles de marbre blanc des martyres
sikhs fusillés, sans oublier les femmes et les enfants, sur l’ordre de la chère
Indira Gandhi. Dans les Etats interdits du nord de l’Inde, j’ai admiré un moche
pipi d’eau ruisselant sur un moche rocher figurant le lingam sacré fécondant le
yoni. Un résumé de la création de l’univers. Une foule de femmes enceintes ou
de jeunes mères avec leurs nourrissons venaient là implorer grossesse heureuse
ou longue vie aux bambins. Et j’ai tout à coup trouvés beaux le rocher et son
pipi d’eau, comme quoi on se laisse toujours influencer…
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Dans la jungle de Sumatra |
A Sumatra, j’ai travaillé avec un
médecin suisse ayant bâti un hôpital pour orangs-outans, que l’on nomme là-bas
les « hommes roux »… Dans les villages reculés de la même île, ce
sont les femmes qui gouvernent. On appelle ça « le matriarcat », un
terme bien oublié, hélas…
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A cheval avec les nomades mongols |
J’ai consulté un extraordinaire
gourou mongol à Oulan-Bator, qui en savait sur moi bien plus qu’il n’aurait
fallu. J’ai participé aux offrandes, à Bali, des adorateurs de chauves-souris
géantes, mignonnes bestioles se nourrissant de lait et de fruits. Au même
endroit, j’ai laissé des petits poissons voraces me mordiller la corne des
pieds pour m’en débarrasser. Comme quoi il ne faut pas tous les bouffer !
J’ai bien sûr fait tourner les
mani korlo du temple de Jokhang, à Lhassa, pour me porter chance et ça m’a sans
doute servi à éloigner la kalachnikov appuyée à mon abdomen, non loin du
célèbre pont de Shaharah, un pont piétonnier datant du XVII è siècle, dont les
fondations plongent vers de sombres abîmes. Encore une de ces absurdes guerres
tribales auxquelles on ne comprend rien… J’ai découvert, au sultanat d’Oman,
des marins qui se prenaient encore pour Sinbad et construisaient leurs dhows à
l’antique, tandis que leurs épouses portaient toujours le traditionnel masque
de cuir sous un cagnard pas possible.
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Méharée en Mauritanie |
J’ai cheminée sur ma belle
chamelle blanche dans les déserts mauritaniens. Et, pour me reposer de tous ces
chapelets de dunes, admiré les jardins suspendus des Dogons maliens ou les
sanctuaires souterrains de Lalibela, en Ethiopie. A Notre-Dame de Sion,
impressionnante église circulaire, un moine est reclus un an durant pour garder
la si précieuse Arche d’Alliance, dérobée au roi Salomon par le fils qu’il eut
de la reine de Saba. Il suffit d’y croire… Mais ses bains sont toujours
vénérés, non loin des tombes des rois Kaleb et Gebre Meskel.
En terre maya, au Guatémala, ces
Indiens aussi croyants qu’habiles artistes peignent à la craie et aux poudres
de couleurs, sur le chemin des processions de Pâques, des tableaux aussi beaux
qu’éphémères. Les prêtres et les porteurs de chars se hâtent de les détruire en
les foulant aux pieds. Question de piété…
Sur la couche d’un chef Méo, j’ai
partagé avec lui la traditionnelle boulette d’opium dans une pipe d’argent
avant de m’envoler vers les ombrelles d’or du Doi Suthep, à Chiang Mai. J’ai
appris, à Srinagar, sur le lac Dal aux somptueux lotus rouges, des sages soufis
qui me louaient mon house boat qu’Allah, selon eux, n’aurait jamais prôné le
djihad, la guerre sainte contre les infidèles, mais un combat intérieur entre
ses bons et ses mauvais penchants. Je recommande donc une promenade en shikara
sur le lac Dal à tous les terroristes en puissance qui en reviendront, peut-être,
apaisés… J’ai vu, au Bhoutan, un roi qui avait doté son fils de quatre mères
lui remettre librement sa couronne ou plutôt « sa coiffe de
corbeau », symbole de royauté. La légende veut qu’amoureux d’une jeune
fille pourvue de trois sœurs aînées non mariées, ce prince héritier ait alors
demandé sa main au père, qui lui a répondu qu’il fallait attendre le mariage
des trois aînées, comme c’est la coutume là-bas. Impatient et amoureux, il les
a épousées toutes les quatre !
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Au couronnement du roi du Bhoutan |
Bien moins exotique, je me suis
aussi crashé en montgolfière dans une centrale électrique, non loin des Carroz,
au-dessus de Megève. Et c’est là que j’ai bien failli laisser ma peau de
reporter, depuis lors bien brûlée et reprisée comme on pouvait. Ronsard
n’aurait plus grand-chose à célébrer…
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