LE CORBUSIER EN INDE


Chandigarh, le rêve de Le Corbusier

Le jardin enchanté de M. Chang

Nehru rencontrant Le Corbusier

Plan très structuré de la ville de Chandigarh avec son
lac artificiel
La main stylisée de Le Corbusier














 

Le Pendjab, la patrie des sikhs, avait été amputé d’une bonne partie de son territoire lors de la partition entre Inde et Pakistan. Pour panser ces blessures, Nehru eut l’idée d’une « ville nouvelle », qui serait le symbole de la confiance de l’Inde en l’avenir. Il a l’idée d’en confier la construction à l’architecte français Le Corbusier dont il connaît les travaux. En 1951, Le Corbusier se rend sur place, étudie le site et propose le plan d’ensemble d’une ville modèle.

Les principes d’une architecture nouvelle

C’était la première fois que Le Corbusier avait l’occasion de mettre ses idées en application sur une grande échelle. L’idée du plan général se résume en cinq points :

. Créer une ville fonctionnelle de 500 000 habitants où véhicules et piétons n’auraient pas à se croiser.

. Faire de chaque quartier un village avec maisons d’habitation, école, aire de jeux pour les enfants, marché, boutiques et dispensaire.

. Diviser la ville en secteurs identiques en forme de rectangles, s’ouvrant par quatre portes et interdits aux voitures, chacun représentant un quartier autonome.

. Relier les secteurs entre eux par de larges avenues accessibles aux véhicules.

. Concentrer les bâtiments officiels dans un seul et même secteur bien aéré et paysagé. Ce fut le Capitol Complex, situé au nord de la ville, le seul secteur construit du vivant de l’architecte, mais jamais terminé.

La distance entre rêve et réalité


Détail de l'Assemblée des Etats du Penjab et de l'Haryana

A l'intérieur, des bureaux presque sordides

Et sur le toit, un vrai dépotoir !

L'altière façade de l'Assemblée des Etats du
Penjab et de l'Haryana

 

Comme partout en Inde, Chandigarh a pulvérisé toutes les prévisions et, de 500 000 habitants, elle est passée à un million. Premier problème de taille et pas des moindres, avec des conséquences immédiates :

. Une Surpopulation. Au lieu de multiplier les secteurs au fur et à mesure de l’essor de la population, on a commencé, faute de crédits suffisants, à entasser les habitants dans les secteurs déjà construits, au détriment du confort, de la tranquillité et du nombre d’espaces verts. Les immeubles bas avec jardins conçus initialement n’ont pas tardé à se charger de vilaines verrues, appentis, ateliers, débarras poussés n’importe comment.

. Une circulation difficile. Des moyens de communications importants, bus et tramways, devaient être mis en place pour relier entre eux les divers secteurs, car les distances restent importantes, et ne l’ont pas été. Les habitants ont donc recours comme partout en Inde aux taxis, tuks-tuks et rickshaws qui créent là aussi des embouteillages faute de discipline et de feux rouges suffisants et les chauffeurs s’invectivent à coups de klaxon. Mieux vaut oublier la tranquillité rêvée… Une mauvaise signalisation des rues et immeubles rend tout repère difficile et l’on se perd plus à Chandigarh que dans n’importe quelle ville indienne.

. Un manque d’harmonie entre les bâtiments. L’urgence de loger les nouveaux habitants croyant jouir à Chandigarh de meilleures conditions de vie et la mort inattendue de Le Corbusier l’ayant empêcher de veiller  au respect de ses plans donne aussi aux quartiers résidentiels de la ville un côté inachevé et bâclé. Certains immeubles ont largement dépassé les hauteurs prescrites sans que les autorités interviennent, d’autres ont rogné sur les jardins, des petits commerces ont fleuri n’importe où.

. Le vieillissement du béton. Entre les chaleurs torrides et la violence des moussons, le béton n’a pas tardé à se fissurer et à prendre une vilaine couleur verdâtre. Les espaces verts ne sont pas davantage entretenus. Les toits des bâtiments officiels du Capitol Complex, Assemblée législative, Palais de justice, Secrétariats des Etats du Pendjab et de l’Haryana, Assemblées du Pendjab et de l’Haryana ressemblent à présent à des dépotoirs. Escaliers et couloirs sont à peine propres. Les bureaux contiennent deux fois plus de fonctionnaires que prévu, les rangements sont inexistants, le mobilier aussi disparate que bancal.


Deux avocats sikhs
La Haute Cour de Justice


Sculpture dans le jardin du Gouvernement


Fresque de Satish Gujral au Musée du penjab

. Une morosité ambiante. Le principal charme des villes indiennes, une fois que l’on s’est habitué aux embouteillages, au vacarme, à la pollution et aux odeurs tient à la générosité des marchés étalant avec munificence légumes et fruit, produits divers et farfelus en drainant une population bigarrée et affairée. Rien de tel ici, chaque quartier étant censé se suffire à lui-même et avoir son propre marché. Les autres lieux de charme et de rencontres sont les divers temples où règne toujours une animation bon enfant, où l’on chante, danse, prie ou fume des produits pas toujours licites, propose des offrandes aux diverses divinités, admire les processions ou festivals. Rien de tel à Chandigarh où Nehru a voulu une ville laïque pour rompre avec un passé souvent lourd, mais un Indien sans temple est un Indien perdu…


Architecture intérieure et rampe d'accès du musée

Arbre métallique


Le charmant musée de l'architecture


Gamine photographiant le lac artificiel

Une beauté esseulée

Si le beau rêve s’est évanoui, si Chandigarh ne dégage pas grand charme et qu’on n’a guère envie de trop s’y attarder, il est vrai que bâtiments édifiés sous la surveillance de Le Corbusier gardent encore aujourd’hui une grande originalité architecturale, mais n’ont rien d’indien. Le plus original est sans doute celui du Palais de Justice, avec ses volumes différents et son béton peint de couleurs bien tranchées. En dehors du Capitol Complex inachevé, Le Corbusier a aussi construit le Musée du Gouvernement, très novateur avec sa rampe d’accès pour handicapés, ses panneaux écrits en anglais et certains même en braï pour les mal voyants, son souci de toujours mêler art ancien et contemporain. Quant au City Museum retraçant l’histoire de la création de la ville et des différents projets examinés par Nehru avant sa rencontre avec Le Corbusier, son volume assez exigu lui donne le charme d’une vraie maison aux vitres larges ouvertes à la rencontre du soleil.

Le jardin enchanté le M. Chang

Nek Chand, ancien agent de la voierie
et créateur de Rock Garden
 
Rock Garden, rendez-vous des amoureux

Jeune fille devant le mur électrique

Le mur des poteries

 

Nek Chang, ancien inspecteur de la voirie, a consacré ses loisirs à créer ce jardin labyrinthe s’étendant à présent sur deux hectares, situé tout près du Palais de justice, sur Uttar Morg. Comme le facteur Cheval chez nous, il a commencé par ramasser partout, à ses moments perdus, tous les rebuts de la ville : les bracelets en verroterie cassée des femmes, de vieux ressorts, des écrous, des réveils hors d’usage, des plots électriques, mais aussi des pierres tourmentées par le vent et la pluie, des coquillages, des débris de céramique, des tessons de bouteilles, des éclats de briques. Puis il s’est mis à fabriquer avec ces rebuts, dans son bout de jardin, des personnages fantastiques : une armée de singes digne d’Hanuman, des gardiens de temples, des danseuses sacrées, des déesses que le verre cassé pare de bijoux barbares, des guerriers. Les voisins admirèrent son bout de jardin, ils en parlèrent et il devint une curiosité locale.

Personnage fait de bracelets
Blançoire dans une colossale enceinte artificielle

 

Tant et si bien que le maire lui-même se déplaça et se déclara conquis. Il lui offrit d’abord un bout de terrain près de la Haute Cour. Et M. Chang d’organiser des allées de galets bien ronds, une petite rivière tapissée de coquillages, serpentant parmi de fausses roches de béton faisant illusion, des lavandières portant leur linge sur la tête, veillée par une armée à l’affût. Dans ce terrain vague, il composa une vraie promenade, le vrai et le faux se mêlant intimement. Un mur fait de plombs électriques voisinait avec de vraies roches choisies pour leurs formes étranges évoquant quelque dragon jailli de sa caverne. On décida d’ouvrir ce bout de jardin d’un nouveau genre au public et le succès fut immédiat. Bientôt, il devint le but de promenade favori des habitants de Chandigarh qui ne parvenaient toujours pas à apprivoiser les avenues bien rectilignes de Le Corbusier. Ils se sentaient plus chez eux dans ce décor recyclé, serpentant à l’infini en dessinant une agréable promenade. Le jardin de M. Chang devint ainsi le lieu de rendez-vous préféré des amoureux qui se photographiaient devant ces insolites armées. D’énormes roches furent bientôt transportées pour isoler chaque coin de l’autre en multipliant l’espace.

Quand les végétaux se mêlent au minéral
 

Les autorités concédèrent davantage de place, plus encore, jusqu’à atteindre ces deux hectares qui forment certes un labyrinthe s’insinuant entre de vrais arbres et des buissons fleuris, puis débouche sur une vaste place propice au repos, sorte d’amphithéâtre antique semblant laisser vide par les roches, toujours aussi fausses et donnant toujours l’illusion d’une nature vraie quoique retravaillée. Bientôt, ouvriers et jardiniers travaillèrent sous la direction e M. Chang et son jardin devint le Rock Garden, où bien des idylles se nouent. Il y a même un petit étang où s’éclaboussent une cascade, des ponts, un semblant de montagne et M. Chang continue de fabriquer ses personnages ou animaux magiques pour peupler son parc.

 

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