NOUVELLES PUBLICATIONS
LES ENQUÊTES D'HENRI DE SAMBREUIL
1. LE JEU DE LA REINE
Extrait
Il faisait trop chaud dans la chambre mal
aérée du relais. Il y eut comme un bruissement furtif derrière la porte, un
glissement feutré. Cherchait-on à pénétrer dans la pièce ? La porte s'ouvrit
avec précaution sur une mante si ample et si sombre que l'on ne pouvait deviner
qui s'en était enveloppé et s'il s'agissait d'une femme ou d'un homme. Le
corridor était désert. A quelques pas de la porte, une torche se consumait,
fichée dans le mur. Le domino s'en approcha, éteignit la torche et l'ombre se
fit plus sombre et plus épaisse. Plus inquiétante.
Par une croisée entrouverte dans l'escalier
pénétraient les bruits tranquilles de la forêt. On entendait murmurer une
source et hululer une chouette. Il y eut soudain le cri bref et tragique d'un
petit animal à l'agonie, puis le silence recouvrit cette mort anonyme. La
silhouette imprécise se glissait sans un bruit le long du corridor, se
blottissant soudain dans un recoin obscur quand elle croyait avoir perçu un son
insolite, reprenant ensuite sa prudente progression. Parfois, un ronflement ou
l'écho d'un rêve venait transpercer les cloisons trop minces. On avait alors
l'impression d'entendre battre le pouls de la nuit.
Une main se dégagea de la mante, tenant une
petite clef qu'elle inséra dans la serrure. Le pêne joua sans bruit, la porte
s'ouvrit avec un bref grincement. La silhouette s'engouffra par l'ouverture,
examina à nouveau le corridor, referma le battant tout aussi habilement. Quand
ses yeux se furent habitués à l'obscurité, le domino s'approcha d'une alcôve du
même pas sûr et glissé. On entendait monter du lit un souffle régulier. Un
parfum de tabac se dégageait des draps chiffonnés, sans doute repoussés durant
la nuit par un pied impatient. La main du domino se leva. La lame d'un blanc
méchant d'un stylet brilla un court instant au-dessus de l'oreiller. Maintenant
que sa vision s'était accoutumée à l'ombre, le domino distinguait mieux le
visage du dormeur. La main armée hésita un bref instant, faillit retomber, mais
elle eut soudain un geste bref et décisif. Tandis que l'autre main venait se
plaquer durement sur la bouche encore entrouverte, le stylet parut déchirer
l'air avant que de s'enfoncer dans la chair du cou. Là où l'artère fémorale
bat sous la peau comme un oiseau
prisonnier. Un flot de sang jaillit de la gorge ouverte, qui semblait
maintenant dessiner à la base du cou un second sourire. Hideux et sanglant.
Pressant un oreiller sur le visage de sa victime, l'assassin regarda le corps
d'un œil froid.
Une odeur douçâtre, écœurante, celle du sang,
flottait à présent dans la pièce…
2. AUTOPORTRAIT A LA SANGUINE
LA FEMME DE PAPIER
Extrait
L’hôtel de la
Providence, au 19 de la rue des Vieux-Augustins, n’avait pas grand intérêt et
était même des plus modestes. Son seul avantage était d’être situé tout près de
l’arrêt de la diligence venant de Caen. C’était l’unique raison pour laquelle
elle l’avait choisi. D’ailleurs, cela n’avait que peu d’importance. Que son
plan aboutît ou non, elle n’y resterait pas longtemps. Que cette Simone Evrard
était donc une déplaisante personne ! Pour s’acoquiner avec un tel homme,
on ne pouvait évidemment être un ange de beauté ou de vertu… Il était tout de
même fâcheux qu’il fût malade et obligé de rester chez lui… Enfin, il lui
fallait bien s’adapter aux circonstances. Elle lui avait écrit, la lettre était
partie. A cette heure, il l’avait probablement déjà reçue. Quand elle
reviendrait, le dragon femelle ne pourrait continuer à l’empêcher d’entrer,
puisqu’elle serait pour ainsi dire attendue. L’emplette qu’elle avait faite
dans les arcades du Palais-Royal était bien emballée, comme elle l’avait
demandé. Le papier portait le nom du fournisseur : “Chez Badin”. Le nom était
plaisant et la fit sourire. On toqua à sa porte.
C’était le coiffeur
qu’elle avait fait chercher. Il convient d’être à son avantage pour un tel
rendez-vous. Elle voulait se faire friser comme c’était à présent la mode dans
la capitale. Toutes les femmes arboraient des coiffures de pâtres grecs. Même
si elle refusait de sacrifier sa longue chevelure, des boucles moussant tout
autour du visage serait sur elle d’un effet charmant.
L’homme
était venu avec son aide, un bel enfant d’une douzaine d’années auquel elle
sourit. Toujours, elle avait su plaire aux enfants. C’était bon de s’abandonner
entre les mains expertes du coiffeur en écoutant d’une oreille distraite son
babillage. C’était bon de s’offrir un peu de raffinement après la fatigue du
voyage. Les fers chauffaient avec un petit grésillement agréable. Quand ils
étaient à point, le coiffeur enroulait une mèche de cheveux d’un geste preste
et lui donnait un joli volume. Une fois que ce fut terminé, elle se regarda
avec complaisance dans le miroir qu’il lui tendait, paya et le remercia.
Il
était temps de s’apprêter. Elle revêtit la jolie robe de mousseline à pois
qu’elle avait fait faire pour la circonstance et n’avait encore jamais portée,
l’égaya d’un fichu rose qui avait l’avantage de flatter son visage trop pâle,
puis elle enfonça avec décision son chapeau noir à cocarde verte et aigrette noire.
Grâce à ces boucles qui l’auréolaient avec douceur et semblaient un
prolongement naturel de son chapeau, elle était charmante et sourit à son
image. On aurait dit une jeune fille se
rendant à un rendez-vous d’amour !
Sept
heures venaient de sonner, mais il faisait encore grand jour, en ce mois de
juillet qui s’annonçait très chaud. Il ne fallait plus tarder et descendre
chercher un fiacre. Elle défit le paquet et glissa son achat dans son corsage,
ainsi que son extrait d’acte de naissance et une petite lettre qu’elle avait
auparavant rédigée et qui expliquait ses motivations. Puis elle prit une autre
lettre, posée en évidence sur sa table de chevet. Celle-ci lui servirait
d’introduction, si cette Simone Evrard s’obstinait à demeurer aussi désagréable.
La soirée était belle. Enfin, un peu de fraîcheur tombait sur la ville.
Elle
marcha un moment, heureuse de savourer cette promenade et de voir les hommes se
retourner sur son passage. C’était une grande fille vigoureuse et saine et elle
savait qu’elle plaisait. Quand elle arriva rue des Victoires nationales, elle
vit un fiacre qui attendait. Elle y monta et donna l’adresse de l’hôtel de
Cahors, 20 rue des Cordeliers. Durant le court trajet, elle se remémora
exactement ce qu’elle devait faire. Quand la voiture s’arrêta devant la maison
qu’elle connaissait déjà, elle en sauta lestement, paya le cocher et le
renvoya. A quoi aurait servi qu’il l’attendît ?
-
Encore vous ! dit la maîtresse de céans de la même voix aigre. Je vous avais
déjà clairement fait entendre qu’il était malade et ne recevait pas, il me
semble.
A
ce moment arrivait un marchand de journaux, avec un paquet d’exemplaires qui
sentaient encore l’encre fraîche. Elle jeta un rapide coup d’œil sur les piles
portant en bandeau la date du jour et le titre du journal : 13 juillet 1793 et Journal de la République française. Le
marchand était accompagné d’un homme mis comme un bourgeois, qui insistait pour
être payé. C’était l’imprimeur. Pas fâchée de voir que la femme perdait avec
lui un peu de sa superbe, la jeune fille au chapeau noir parvint à s’introduire
dans le logis sans être remarquée...
Commentaires
Enregistrer un commentaire