CHEZ LES DOGONS DU MALI

Mali, ensorcelants Dogons

A Mopti, les rivess du Niger sont toujours agitées

Femmes triant le mil à Mopti

La grande mosquée de Mopti, toute en adobe,
évoque des tuyaux d'orgue

Sera-t-il encore possible, dans des jours proches, d'escalader la falaise de Yendouma pour rendre visite à mes amis dogons et se croire en un autre siècle ?

Réfugiés sur une falaise difficilement accessible, en haut d’éboulis vertigineux, les villages dogons occupent une position stratégique, conservant ainsi leur spécificité, leurs croyances animistes, leur art millénaire, leurs masques incomparables et leurs rituels.

Une falaise en guise de remparts

L'impressionnante mosquée de Mopti, lieu de pèlerinage

La mosquée de Mopti, masse formidable, mais si fragile

Les fidèles se pressent pour la
prière

Deux heures de piste à travers une savane un peu monotone, hérissée d’épineux et de quelques rares villages veillés par de monstrueux baobabs, sont nécessaires avant de pénétrer en Pays Dogon. Peu à peu, la savane fait place à des blocs chaotiques, à de véritables écroulements minéraux qui semblent le résultat de quelque lutte de Titans. Depuis des millénaire, l’érosion a travaillé et torturé les reliefs de grès rose jusqu’à former de fantastiques sculptures, des cheminées de fées, des failles profondes, des pics déchiquetés, des blocs de Cyclopes entassés en un équilibre mystérieux. Nous progressons dans une plaine sablonneuse plantée de mil, où la falaise et les rochers semblent nous environner de toute part sans que l’on parvienne à s’orienter, tant el relief est capricieux, illogique. La piste s’arrête devant une haute falaise formée d’éboulis qui ne sont pas à l’échelle humaine. Il est six heures du soir. L’avion était en retard et, brusquement, la nuit tombe. Une belle nuit d’un bleu sombre, étoilé, avec une lune nimbant le paysage de plus de mystère encore. Il nous faut nous lancer à l’assaut de la falaise, même si l’on n’y voit rien.
Chacun allume sa torche, nos guides dogons balancent à bout de bras de petites lanternes à pétrole, cette lente procession évoquant un serpent lumineux sous la nuit africaine a quelque chose de magique. Il paraît qu’un campement nous attend, en haut, mais on a beau grimper et grimper encore, on dirait que le sommet ne cesse de nous fuir.

Les curieuses cses escaladant les
pentes de Yengouma Sogol

Petit écolier montrant son cahier à
Yengouma Sogol

Brodeuse dans sa cour à Yengouma Sogol

Enfin, des rires nous saluent. Nous prenons pied sur une étroite plate-forme d’où l’on découvre tout un enchevêtrement de huttes coniques coiffées de chaume de mil, de cases carrées. Roches et constructions se mêlent si intimement qu’il est souvent difficile de savoir ce qui est humain ou minéral.
Tout à coup, tout le village de Yuga Pirir est là, femmes pouffant de rire derrière leurs mains, bambins tendant leurs petits doigts vers nous pour le seul plaisir de nous toucher… et de tester leur chance : « T’as pas un Bic, un bonbon, un cadeau pour la bonne années ? » Yannick, notre accompagnateur, a échangé avec le chef à coiffe blanche, un vieil homme du nom de Nyaba Doubo, les palabres de bienvenue. A chaque question concernant, dans l’ordre exigé par la politesse africaine, santé, famille, maison, femme, enfants et travail, le chef répond gravement : Séo (ça va).
Un copieux repas de riz et de poulet nous est ensuite servi en plein air tandis que les porteurs déploient nattes et matelas en mousse et les hissent sur les toits du « campement », la plus vaste case, celle du fondateur du village. Tout est redevenu silencieux. Chacun est parti se coucher et nous nous enveloppons dans nos duvets car un petit vent froid, l’harmattan, a commencé de souffler. C’est la nuit dogon, la nuit des esprits et des puissances des ténèbres, des forces de l’au-delà que l’homme ne doit pas troubler.

Rites et croyances

Grâce aux travaux de Marcel Griaule, un ethnologue qui consacra sa vie à l’étude de cette civilisation si mystérieuse des Dogons, leur cosmogonie compliquée, leurs rites et leurs croyances sont à présent connus. Selon les Dogons, le dieu suprême Amma créa la Terre d’une boule de glaise, puis il s’accoupla avec elle, union imparfaite d’où naquit le Renard pâle. Ensuite, la Terre accoucha d’un second enfant, le Nommo, génie de l’eau, maître de la vie diurne, de la pluie et de l’ordre. Le Renard Opale, son contraire, règne sur la nuit, le désordre et la sécheresse, la grande malédiction en Pays Dogon, région aride et ravinée où il est si difficile d’irriguer les champs et où la sécheresse est synonyme de mort.

Maison belhème de Yendouma Sogol
et la curieuse coiffe dogon

Construction d'une maison dogon

Tous les soixante ans a lieu le Sigi, la grande fête d’initiation au cours de laquelle on forme les nouveaux maîtres, on sort les masques vieux de plusieurs centaines d’années et cachés dans le secret des falaises, ainsi que les Mères des masques, des sculptures géantes et sacrées.
Dès quatre heures du matin, avant les premières lueurs de l’aube, le village commence à s’éveiller au son de coqs bruyants, d’ânes facétieux, de boucs et de moutons en redoutable forme.
Je m’aperçois que nous nous trouvons en fait dans le creux d’une cuvette surmontée d’un monstrueux champignon à l’épanouissement atomique, qui forme comme une coupole de roches au-dessus du village. Tout là-haut, comme imbriquées dans la falaise, se trouvent les habitations troglodytes des Thélèmes, ceux qui étaient là avant. Sur ce peuple, l’on ne sait quasiment rien, sinon qu’il vécu jusqu’au XIII è siècle dans ces habitations souterraines à l’étrange beauté, faites de brique crue rosée formant comme de minces colonnades intimement mêlées aux rochers.
Me coulant de bloc en bloc, je traverse le village encore à demi endormi et grimpe jusqu’aux habitations. Escaladant un promontoire, j’adresse de grands signes au reste du groupe, un peu étonnée de l’agitation que je perçois tout à coup dans le village. Bientôt, une nuée de gamins m’environne. On me prend par la main, on me pousse, on m’entraîne malgré mes protestations. Parvenue au campement, je dois présenter mes plus plates excuses au chef très courroucé : j’ai profané sans le vouloir des habitations thélèmes qui étaient « taboues » et qu’il va falloir sanctifier à nouveau par des incantations et sans doute un sacrifice. Sans le savoir, j’ai commis une horrible profanation…

Mère et son bébé à Yuga Piri

Gamin devant sa maison à Yuga Piri

Métier à tisser à Yuga Piri

Le chef, le village et les puissances des ténèbres enfin pacifiées par mes excuses, les explications de Yannick et un petit don au village, la bonne humeur est revenue. Ca et là, des hommes, et seulement eux, tissent la laine. Pour les Dogons, le métier à tisser symbolise en effet la bouche et le travail du tisserand la parole, chose trop importante pour reste l’apanage des femmes… Une grande case très basse, coiffée de branchages et réservée aux hommes, la toguna ou case des palabres, réunit le conseil des Anciens chaque fois que l’on doit prendre une décision importante. Si elle est si basse de plafond, c’est pour éviter que l’un des participants ne se lève soudain sous l’empire de la colère.
Après avoir dégringolé la falaise si péniblement gravie la nuit, nous retrouvons une nouvelle falaise, celle de Yendouma. Plus prospère que le nid d’aigle que nous venons de quitter, ce bourg dogon formé de sept villages possède sa moquée, le Mali étant à majorité musulmane, son école et son dispensaire. Le chef, Ali Baba, nous fait visiter avec satisfaction le dispensaire et l’école où filles et garçons ânonnent en français sous la direction du maître.
Dans les hauteurs de Yendouma où s’accrochent les fabuleuses maisons thélèmes vit Atime, l’Ancien du village. Il nous conduit au bingéné, le lieu le plus tabou du village, colonne naturelle insérée entre deux grosses roches plates et aspergée de peinture blanche. C’est là que l’on sacrifie les animaux afin de chasser les Renard pâle et ses maléfices. C’est là aussi que le hogon, le forgeron, qui a volé le feu aux dieux pour en faire présent aux hommes, martèle les outils du village sur son enclume.

L’eau, première richesse

Dans la faille du Dro, des jardins
miniatures

Qu'il faut sans cesse arroser avec les moyens du bord

Les fertiles potagers de la faille du Dro

Après avoir franchi d’autres gorges, d’autres ravins, d’autres éboulis, paès avoir dépassé le village de Kaauli cerné par des baobabs évoquant de monstrueux pachydermes, nous débouchons soudain dans un opulent bois de manguiers croissant autour d’une mare. Tout ce vert au sortir de ce monde minéral est prodigieux. Plus loin, insérés dans une famille, s’étendent des jardins, minuscules parcelles de terre d’environ un mètre carré de surface, closes de murets de boue séchée, étincelant d’un vert d’émeraude. Là poussent à foison oignons, plants de salades, tomates, aubergines, ail. Des femmes, leurs calebasses à la hanche, font d’incessants va-et-vient entre la mare et les parcelles qu’elles arrosent, véritable travail de fourmis. L’eau est vraiment la principale richesse en Pays dogon, l’objet de tous les soins, de toutes les peurs, de tous les sacrifices. C’est pourquoi ce point d’eau, dit Mare aux crocodiles, est aussi sacré. Une légende veut que tous les crocodiles du Mali viennent s’y rassembler pour y mourir. Le village les nourrit. En échange de quoi, ils ont la gentillesse de ne pas croquer les femmes et les enfants qui viennent inlassablement remplir dans la mare seaux et calebasses.
Le village de Kameli, peut-être le plus étrange et le plus authentique de ceux que j’aurais visités durant mon périple, est planté sur un vaste plateau semi-désertique, campé en haut de la falaise et balayé par les vents. Rien n’y pousse, hormis les traditionnels jardins tapis dans une faille fertile et abritée. On se croirait parvenue au milieu de nulle part, sur quelque cratère lunaire. C’est la troisième fois seulement qu’un groupe de toubabs, les Blancs, entrent à Kameli et c’est jour de liesse au village : le prix de notre hébergement permettra d’acheter des lampes à pétrole. Tout le village est rassemblé en notre honneur et le moindre de nos faits et gestes fera l’objet d’une curiosité intense. On nous prend par la main pour nous mener dans les cases désertes durant l’hiver. Quand le brouillard se lève, on commence à distinguer l’immense plaine de Bamba.
Gamins travaillant aux jardins de la faille du Dro

On retrouve l'agitation africaine au marché de Bamba

Notre dernière étape sera atteinte après quatre heures de pistes : deux villages tapis au pied de trois pics fantastiques que l’on appelle la Main de Fatima. L’Islam côtoie ici la religion animiste, toujours prépondérante. De la piste encore. Peu à peu, le relief s’apaise et se discipline, le chaos minéral s’ordonne, la plaine fait place à la falaise. On retrouve le Niger, ses eaux calmes et majestueuses, le trafic intense du fleuve, les pinasses agiles et sombres. Les radios bruyantes remplacent bêlements, braiments et cocoricos tonitruants. La civilisation est de retour et c’est un peu dommage, après cette immersion dans l’univers de mystère et de poésie des Dogons, après avoir goûté leur gaieté et leur inaltérable gentillesse, leur honnêteté proverbiale et leur sens du sacré.


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