MEHAREE EN MAUTANIE

En méharée à travers le désert mauritanien

Nul ne sait quand nous pourrons reprendre de grands voyages, nous aventurer en méharée au Sahara mauritanien, mais il fait bon s'en souvenir... et rêver y retourner... 
Cérémonie du thé chez les nomades d'Atar

Sous la tente des nomades d'Atar

Vente en plein désert près d'Atar


Dans ce pays vaste comme deux fois la France, plus des deux tiers du territoire appartiennent au Sahara. C’est dans ce désert, multiple et toujours différent, qu’il faut s’immerger à dos de chameau pour comprendre l’essence de cette magnifique contrée.

Le bel apprentissage du désert
 « J’ai découvert au Sahara le reflet de mon paysage intérieur », disait André Chouraqui. Le désert est en effet une école de réflexion et d’épuration. Dans le désert, on va à l’essentiel : l’amitié et l’entraide sans lesquelles la survie ne serait pas possible, les gestes de l’hospitalité, devoir sacré.

Rusticité du village de Chinghetti

Le chaudronnier de Chinghetti

Et son incroyable bric à brac

L'un des fameux manuscrits du désert
 à Chinghetti

L'écrivain public et sa table à écrire à Chinghetti

En Mauritanie, le Pays des Maures, république islamique unifiée et pourvue d’une constitution depuis 1991, la plupart des expéditions dans le désert se font à partir d’Atâr, desservie par une ligne régulière depuis Paris. Nous aussi partons d’Atâr, la capitale, vague entassement de cases en pisé sans grand intérêt. Notre méharée composée de douze dromadaires, six de selle et six de bâts portant bagages, vivres et tentes, s’ébranle dès cinq heures du matin en direction de Zouérate, empruntant la piste du Nord. Dix kilomètres plus tard, bien habitués au doux balancement de nos montures, nous nous arrêtons pour déjeuner au milieu d’un désert de sable rose ponctué de dunes. 
Un mariage qui réunit tout le village de Chinghetti

départ de notre méharée à Chinghetti

En route vers le point d'eau de Tourine, depuis
ma belle chamelle blanche

Nos premiers soins vont au chameau, indispensable compagnon que nous apprenons à débâter, abreuver, nourrir puis entraver pour le laisser mâchouiller les meurtrières épines d’acacia, un régal, et l’« herbe à chameau », sorte de jonc dont les Maures font liens et nattes. Ensuite on dresse la grande tente blanche des nomades, doublée à l’intérieur de patchworks multicolores, pour y déjeuner de légumes bouillis et de galettes, à l’abri de la chaleur, déjà suffocante. Baba, notre guide à la somptueuse robe bleue brodée d’or, met l’eau à bouillir dans une théière qu’il pose sur le feu et emplit de feuilles de thé, puis il en verse le contenu de haut, d’un geste net et précis, d’un verre à l’autre pour le faire mousser. C’est le premier thé, peu sucré et « amer comme la vie ». Vient ensuite le second, « fort comme l’amour », et le troisième, très sucré, « suave comme la mort ». On a déjà eu vent de notre présence dans cette immensité que l’on croirait vide et survient un lointain cousin de Baba. Commencent les interminables palabres : « salamaleikum » (que la paix soit avec toi), « yak khyr » (est-ce que tu as le bonheur ?), « yak saha » (la santé ?), « yak la bes » (est-ce que tout va bien ? ». A quoi Baba répond et nous avec lui : « la bes el hamtoulilah » (ça va et je te remercie mon Dieu).

Vers Tourine, la beauté du désert au soleil couchant

A chaque halte, les premiers soins vont aux chameaux sans eux,
on ne pourrait survivre

Le fameux puits de Tourine, un simple trou
protégé d'une bâche

Les chameaux premiers servis
au puits du Tourine

Notre méharée va d’abord traverser el Hammâmi, l’immense désert du Nord dévasté par cinq années de sécheresse, habité pourtant. Dès notre arrivée surgit une nuée de gamins, puis les femmes qui déballent le contenu de leurs balluchons : bijoux, chèches et boubous, théières et grigris. Des bébés à la peau d’ambre et au sourire d’ange sont accrochés au sein de leur mère. Un vieux bidon est vite reconverti en tambourin, des chants s’élèvent, une danse s’improvise, des rires fusent.
Le cousin de Baba nous mène à son campement, à deux kilomètre de là, groupe de six tentes à peine. Il nous invite à pénétrer sous la sienne et sa femme met aussitôt la théière à bouillir pour un... quatrième thé. Un immense Maure à la peau très sombre se joint à nous. C’est un conteur réputé. Il commence son histoire par un préambule en langue hassaniya, celle des Maures.  « Galak magalak » (il t’a dit et il ne t’a rien dit). Nous reprenons docilement en chœur, « lipon libon » (la même chose en langue wolof). Le conte, en l’occurrence une parabole où les animaux se montrent bien plus sages que les humains, traduit au fur et à mesure par Baba s’achève par une sentence morale, puis par ces mots « Alors, j’ai repris mes chaussures et je suis parti dans le grand désert mauritanien ». A quoi nous répondons avec entrain : « Et le premier qui respire ira au paradis ».

Le Hammâmi de Choum à Zouérate, un univers minéral et lunaire

L'enchantement de l'oasis de Ouadane

Ouadane, ses palmiers et son fortin

Après avoir quitté le campement du cousin de Baba, nous cheminons vers Choum, bourgade désolée et poussiéreuse. C’est à présent un désert d’erg, semé de cailloux et de belles dunes rousses, différent du reg, plat et ascétique, aux pierres coupantes, qui peut prendre des teintes d’un noir à faire rêver l’enfer, ou des riples, prémices des dunes aux formes molles et douces évoquant un corps féminin et appelant la caresse.
Deux jours plus tard, nous parvenons au seul puits d’el Hammâmi, celui de Tourine, dans une magnifique région de dunes. La présence de l’eau a fait verdir acacias et herbes à chameau. Les dromadaires, excités par la vue de l’eau, se précipitent vers les outres en peau de chèvre et les seaux faits dans des chambres à air, emplis d’eau puisée par Baba pour engloutir à tour de rôle leurs cent vingt litres d’eau. Et nous continuons de cheminer au rythme de nos montures...

A ouadane, Sidi et sa fabuleuse collection
de manuscrits du désert

Ses précieux manuscrits sont la légitime fierté de Sidi

Certains ont déjà bien souffert...

Celui-ci, rongé par les termintes, ne pourra être sauvé

Le cinquième jour de la méharée, dès que le soleil a disparu à l’horizon, on fête l’el fater, la fin du jeûne du Ramadan, avec un somptueux couscous mitonné par Hamada, notre cuisinier. Avec el adha, la cérémonie du mouton commémorant le sacrifice d’Abraham et el mouloud, l’anniversaire du Prophète, ce sont les trois fêtes saintes de l’Islam. Et nous voici repartis au pas rapide de nos dromadaires en direction de Zouérat, ville située au pied de sombres montagnes noires à la découpe irrégulière se profilant sur le bleu du ciel. Sur le monotone plateau d’el Azrag, ancien lac asséché depuis des millénaires, nous suivons quelque temps les traces d’une maman éléphant et de son petit se traînant vers le dernier point d’eau d’el Hammâmi. Ici et là, des roches gravées de dessins rupestres attestent elles aussi de la richesse de la faune, quand l’eau coulait encore dans le désert. Gazelles, autruches, rhinocéros, hippopotames, buffles et girafes gravés témoignent d’un Eden oublié.

Mignons bambins devant leur case de palmes de Chimunit


Zouérat, un gisement de fer repéré par le père du Petit prince
Zouérat, ville de 30 000 habitants surgie du désert grâce au minerai de fer que l’on exploite dans trois gisements principaux, Zouérat, Tazadite et Maoudate, doit son existence à Antoine de Saint-Exupéry, le père du délicieux Petit prince. En survolant la région pour se rendre à Saint-Louis du Sénégal, il eut ses instruments de bord déréglés par la forte teneur en minerai de la montagne. On envoya des géologues en mission et l’état français commença la prospection et l’exploitation minière que la Mauritanie reprit plus tard à son compte. Nous entrons dans la ville aux cases de pierre sombre. Dans cet univers noir tranchent les voiles multicolores des femmes semblables à des ailes de papillons. Dans une case, des jeunes filles étendues sur des nattes se font parer de henné.
On renoue presque avec la civilisation à Zouérat, ici une coquette
se fait décorer les pieds au henné

Notre méharée traverse la ville pour se diriger vers la montagne, qui culmine à 930 mètres, point le plus haut de Mauritanie. Au-dessus de la ville, à l’air libre, l’un des plus anciens gisements se creuse en gradins à 800 mètres de profondeur, évoquant un gigantesque cirque antique. Partout, des pelleteuses hautes comme des maisons font penser à des insectes géants.
Nous abandonnons nos aimables dromadaires à Baba qui va les ramener à Choum pour monter dans le « train minéralier ». Chaque jour, le minerai extrait des mines de Zouérat et des environs est acheminé vers ce train qui ne paie pas de mine, mais s’étire sur 2 km et se rend en 6 heures à Choum, puis à Nouadhibou, principal port côtier. Un wagon au confort plus que sommaire, prévu pour les cadres de la mine, nous est réservé. Et le train s’ébranle lourdement dans un panache de fumée noire. A chaque arrêt, et ils seront nombreux jusqu’à Choum, on hisse des moutons affolés dans les fourgons, des voyageurs sans cesse plus nombreux s’installent sur les tas de minerai dans un concerts de cris et d’ordres contradictoires…

Les villes sacrées de l’Adrar
Notre méharée reprend à Choum où nous avons retrouvé nos montures, pour se diriger vers l’Adrar, qui s’étend à l’est d’Atâr et a moins souffert de la sécheresse que le Nord. Nous empruntons la piste menant au cirque d’El Beyyed, traversant un paysage lunaire fait de roches aux découpes capricieuses, semblant posées en équilibre instable, surplombant défilés ou cirques. Celui d’El Beyyed, immense magma rocheux d’une circonférence de 40 kms fut rendu célèbre par Théodore Monod, le « marcheur du désert », qui y voyait la trace de l’impact d’une météorite - l’explication retenue actuellement pencherait pour un bouleversement  volcanique.
L’arrivée à Ouadâne, notre première oasis, vraie explosion de vie, est spectaculaire. C’est un paradis de verdure et palmiers dattiers. De l’oasis, on aperçoit les remparts de la vieille ville. Même si l’Unesco a déclaré Ouadâne et Chinguetti « patrimoine mondial de l’Humanité », aucun subside n’est encore arrivé pour restaurer la vieille ville et ses précieux manuscrits. Baba nous mène chez un autre cousin, Sidi, ancien instituteur de Zouérat, qui possède parmi un vraisemblable bric-à-brac des livres rares parfois rongés par les termites. Les caravanes transportant le sel de Tombouctou, les minerais précieux ou la gomme arabique du Sénagal, passaient autrefois par les villes saintes de Ouadâne et Chinguetti avant de se rendre à la Mecque. Les pèlerins rapportaient des manuscrits de leur périple, chacun s’efforçant d’avoir une bibliothèque mieux fournie que son voisin. Traités de mathématiques ou astrologie, grammaire ou poésie, commentaires du Coran, belles calligraphies tracées à l’encre de couleur, tout se côtoie en un aimable désordre…
Quittant Sidi et Ouadâne, notre méharée reprend en direction de Chinguetti, qui s’annonce par une belle palmeraie. La bourgade comprend des mosquées de pierres non jointées et des maisons anciennes. Là aussi, les restaurations seraient urgentes.

Les trois forts Sagane et les piscines du désert
A l’intérieur de Chinguetti se dresse un ancien fort français baptisé « hôtel de fort Sagane », qui abritait durant le tournage du film d’Alain Corneau les appartements de Gérard Depardieu, Sophie Marceau, Philippe Noiret et Catherine Deneuve. Quant au vrai fort Sagane du tournage, il fut construit pour les besoins du film dans un autre cirque noir et désolé, spectaculaire, l’authentique fort Sagane se trouvant dans le sud algérien.
Après Chinguetti, nous cheminons dans un somptueux désert de dunes, coupé tout à coup par une dépression formant une vraie piscine emplie d’eau. Descendant des dromadaires, nous empruntons un sentier de chèvre pour atteindre la guelta d’el Berbhera. Une mince cascade à l’eau très pure sourd de la roche et remplit une succession de vasques, où nous nous précipitons pour nous baigner. Partout bruissent les palmes tandis que roucoulent les palombes dans ce qui semblait un univers hostile. La méharée reprend et deux heures de marche nous mènent à une autre guelta, celle de Tergit, plus vaste mais moins inattendue. Nous plantons nos tentes au bord de l’eau murmurante, havre de fraîcheur et de paix comme seul peut en réserver le désert, ce « lieu sans âme où le ciel est seul roi », disait Albert Camus.

Pratique
Comment y aller
Des vols Paris-Atâr ou Marseille-Atâr ont lieu chaque semaine par Air Méditerranée. S’adresser à Point Afrique, 2, rue de la Roquette 75011 Paris, tél. : 08 20 83 02 55. Air France (119, av. des Champs-Elysées, 75008 Paris, tél. : 08 20 82 08 20) et Air Afrique (26, av de l’Opéra 75002 Paris, tél. : 01 44 21 32 32) assurent également la liaison Paris-Nouakchott. Aucune vaccination n’est officiellement demandée, mais un vaccin anti fièvre jaune est recommandé, le visa se prend à l’arrivée.
Nourriture
La cuisine mauritanienne est simple, à base de couscous, méchoui, volaille ou crêpes fourrées aux légumes.

Achats
Boubous, étoffes tissées, vannerie, sculptures sur bois, coussins de cuir, bijoux fantaisistes constituent les principales richesses.
Livres de bord
- Méharées, L’Emeraude des Garamantes ou Maxence au désert (Actes Sud) de Théodore Monod.
-Vol de nuit ou Terre des hommes(Gallimard) d’Antoine de Saint-Exupéry.
- Pieds nus à travers la Mauritanie (Phébus) d’Odette de Puigaudeau qui sillonna le désert mauritanien en 1930.


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