Les meubles grecs de la villa Kérylos
Une grande villa blanche à piliers et poutres rouges
s’élève sur un promontoire, au-dessus de la baie des Fourmis, non loin de
Saint-Jean-Cap-Ferrat. C’est la villa Kérylos (hirondelle de mer en grec), le
rêve fou de l’helléniste Théodore Reinach.
L’œuvre d’un amoureux de la Grèce antique
Curieux personnage que ce docteur en droit et
docteur ès lettres réputé pour ses traductions d’Aristote et amoureux de la Grêce antique. Après avoir
acquis ce beau
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Une élégante villa évoquant l'Antiquité |
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Un faune sans un jardin |
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Une collection de statuaires |
terrain surplombant la mer l’avoir planté
d’essences méditerranéennes, Théodore était fin prêt pour « l’aventure
Kérylos ». Il savait fort bien ce qu’il voulait : inventer une villa
grecque dans le genre de celles de l’île de Delos. Il ne voulait pas copier
telle ou telle villa mais s’inspirer du style qu’il aimait pour vivre là à la
grecque avec son épouse, née Fanny Kann. Ce fut d’ailleurs grâce à la fortune
de Fanny que le rêve put se réaliser. Le couple n’entendait pas pour autant se
priver de tout le confort moderne, pourvu qu’il fût invisible. Restait à
trouver l’architecte. Le choix des Reinach se porta sur un Grand Prix de Rome
1890, un certain Emmanuel Pontremoli, lui-même expert dans la Grêce antique. Les travaux
commencèrent en 1902, en employant des matériaux nobles, pierres, bronze et non
fer forgé inconnu de la Grêce
ancienne, mosaïques à foison, certaines anciennes d’autres inspirées par des
peintures ou des vases, fresques sur les murs, tissus de lin brodés également
sur des modèles antiques. Tout ou presque est neuf, copié de l’antique, mais
d’un réalisme saisissant, réalisé dans une harmonie de teintes sépia, sienne,
ocre brûlé ou marron d’Inde qui offre vie et chaleur à la villa blanche. Il
s’agissait moins de pasticher ou de copier sans esprit la Grêce antique que de la
réinventer car cette maison, aujourd’hui propriété de l’Institut de France, ne
fut pas toujours un musée. C’était un endroit où savourer un certain art de
vivre précieux et oublié.
Le Thyrôreion, le Proauleion et le péristyle
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Le péristyle orné de douze colonnes de marbre |
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La salle d'attente des hôtes de marque |
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La bibliothèque et ses colonnes rouges |
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De belles fresques murales et une limi-re douce |
Aussitôt franchie la porte de la villa Kérylos, on se
trouve transporté plusieurs siècles en arrière, dans un autre monde et une
autre civilisation. Dans le Thyrôreion ou entrée, le visiteur foule une
mosaïque alexandrine du IIè siècle avant J.-C. représentant un coq, une poule
et ses poussins. La vue porte jusqu’au Proauleion ou avant-cour ou un moulage
représente Sophocle méditant. Des torchères de bronze à godets d’opaline et
coupes d’albâtre électrifiées par la maison Yung reproduisent le chaud
éclairage des lampes à huile de jadis. Il y en a dans toute la maison et c’est
le seul éclairage utilisé. Dans le Balneion ou thermes, le bassin est pourvu
d’une discrète vidange tandis que les robinets d’eau chaude et d’eau froide
sont dissimulés sous des plaques de bronze ajourées. En revanche, porte-savon
et porte-éponge sont inspirés de modèles que l’on peut voir au musée de Naples.
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Des sièges à l'antique |
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Le confort de la Grèce d'autrefois |
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Et la somptuosité des mosaïques |
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Pour l'art de la conversation |
On débouche ensuite sur le péristyle orné d’une
vasque et de lauriers roses, soutenu par douze colonnes en marbre de Carare.
Pour les fresques évidemment inspirées de dessins antiques, Théodore Reinach a
engagé les peintres décorateurs Jaulmes et Karbowsky qui ont enduit de poudres
de marbre du mortier frais et ont ensuite passé leurs compositions à
l’encaustique. Une scène représente la dispute à la lyre d’Apollon et d’Hermès,
une autre la mort de Talos, le retour d’Héphaïstos dans l’Olympe ou la légende
de Pélops.
Un mobilier exécuté par l’ébéniste Bettenfeld d’après les
dessins de Pontremoli
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La chambre d'hôte est spartiate |
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Le balnéion pour se rafraîchir |
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La chambre de Fanny |
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Sa chambre de bain si confortable |
Pour leur mobilier, Fanny et Théodore
choisirent les
essences les plus rares, poirier, citronnier, mais aussi prunier d’Australie,
bois de violette, noyer d’Amérique. Les sièges furent ensuite tressés de cuir
et tous les meubles incrustés d’ivoire et d’ébène. La diversité du mobilier est
grande, rien n’ayant été oublié pour assurer le confort des hôtes, portes
épaisses et richement travaillées, coffres, bahuts, tables, guéridons, chaises
et lits de repos, tabourets disséminés un peu partout. Là aussi, on n’a pas
tenté d’imiter servilement mais de réaliser « à la manière de ». Il
s’agissait de trouver un esprit plutôt que réaliser Pour une copie sans grâce. Dans
la pièce la plus spectaculaire de la maison, la bibliothèque où Théodore
travaillait debout à ses chères traductions - comme Balzac - , s’appuyant à de
hauts pupitres, bahut et armoires sont en chêne à incrustations inspirés de
modèles trouvés à Herculanum et les chaises montrent des courbes douces, à
l’égyptienne. Orientée à l’est pour jouir de la meilleure lumière comme le
prescrivaient les Anciens, cette pièce ornée de mosaïques étoilées reçoit la
lumière par trois larges portes-fenêtres encadrées de rideaux de lin brodé.
Elle donne directement sur la mer et la vue est exquise. Sur le mur sud,
Reinach fit inscrire la devise de la villa : « C’est ici qu’en
compagnie des orateurs, des savants et des poètes grecs, je me ménage une
retraite paisible dans l’immortelle beauté. ». Le mobilier très clair se
compose de tables massives aux pieds largement torsadés, d’une chaise-longue
richement sculptée, réplique d’un meuble gréco-romain. Quant au vaste lustre
central, c’est une copie de celui de Sainte-Sophie, à Constantinople. Les
colonnes cannelées, peintes d’un beau vermillon, achèvent de réchauffer
l’espace. |
Des fresqyes délicates |
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Des recoins charmants pour se reposer |
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Et toujours la grâce des statues |
Dans la pièce voisine, le Trikinos, la salle à trois
lits servant de salle à manger – on mangeait alors à demi couchés sur des lits
de repos – , trônent trois tables et un lit de banquet, un peu plus haut que
les tables, comme on le voit sur de nombreux vases antiques, ce qui permettait
au maître de maison de présider le banquet. On mangeait dans de la vaisselle de
grès peintes de motifs ocres et sépia, toujours à l’antique, et réalisée par
les ateliers Lenoble. Il existe d’ailleurs toujours aujourd’hui un atelier de
céramique à la villa Kérylos, où l’on apprend à restaurer les poteries.
Au premier étage, les chambres et les salles de bain
Après avoir passé le vestibule d’Hermès, ainsi nommé pour
la statue qui en fait toute l’ornementation, on parvient dans les chambre,
toujours conçues selon le même principe : mosaïques pour le sol, peintures
à fresques sur les murs, meubles et lits à l’antique. Ceux-ci sont couverts de
somptueuses étoffes et coussins brodés par la maison Ecochard tandis que les
objets usuels des salles de bains ont été réalisés également par l’artisan
Lenoble, qui a su respecter la pureté des lignes grecques. Dans la chambre de
Mme Reinach, baptisée Ornitès pour les oiseaux peints à fresques qui en ornent
les murs, si le lit n’est qu’une simple banquette de bois aux pieds contournés,
rien n’a été ménagé pour dégager une impression de douce féminité : on
retrouve la même chaise de repos que dans la bibliothèque et les chaises à
l’égyptienne. Tandis que la chaise de repos est entièrement tendue de cuir, les
autres sièges sont tressés, de cuir aussi.
La chambre du maître de maison, symétrique à celle
de sa femme et séparée d’elle par deux salles de bain et un petit salon, fut baptisée Erotès car les murs portent des
figurations d’Eros ailés, occupés à faire les vendanges, peints sur un fond
d’un beau rouge vermillon, assorti aux teintes des colonnes, les mêmes que
celles de la bibliothèque. Le lit de bois et de bronze fut copié lui aussi sur
un modèle existant au musée de Naples. Peut-être Théodore Reinach fut-il
influencé, pour réaliser son rêve grec, de la mode antique sévissant
alors ? N’oublions pas que l’impératrice Elisabeth d’Autriche elle-même
fit réaliser à Corfou en 1890 son Achilleion, devenu aujourd’hui un casino, une
construction assez pompeuse qui ne dégage pas le charme de la villa Kerylos...
Quant aux salles de bain séparant les deux chambres,
elles exhibent des murs ornés de stucs réalisés par le sculpteur
Paul-Jean-Baptiste Gasq qui s’était largement inspiré des Thermes de Rome. Les
baignoires aux pieds griffus sont en marbre de Carrare et les robinets sont
ornés de têtes de cygnes, de dauphins ou de fauves. Le petit salon ou
Triptolème doit son nom à la mosaïque l’ornant, dont le motif central, emprunté
à une coupe que l’on peut voir au Vatican, représente le héros sur son char.
Les fresques des murs représentent des arbres pleureurs aux branches retombant
avec délicatesse vers le sol.
A la mort de Théodore Reinach en 1928, ses héritiers
occupèrent quelque temps la villa avant de la céder en 1967, comme il l’avait
demandé, à l’Institut de France qui, pour respecter les voeux du grand
helléniste, en a fait davantage un lieu de vie qu’un musée en y ouvrant par
exemple cet atelier de céramique. Dans la Galerie des Antiques faisant tout le tour de la
villa au sous-sol, certaines statues sont des moulages tardifs, d’autres
proviennent de diverses villas romaines mais c’est un lieu enchanteur, situé au
ras de l’eau, la mer venant lécher les murs avec tendresse...
Pour savoir plus :
Villa Kérylos, 06310 Beaulieu-sur-mer, à 10 km de Nice et de Monaco,
Tél. : 04 93 01 01 44, ouverte tous les jours, toute l’année.
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