CHEZ UN SOUFI A SRINAGAR
Aziz, soufi guérisseur et créateur de merveilleux tapis
En shikara sur le lac Dal
Le Montreal houseboat sur le lac Dal
Le Shalimar bagh, le Jardin de l'Amour
Martin pêcheur sur le lac Dal
La petite mosquée du lac Dal |
En retrait de la concentration de
trois mille houses boats formant un village flottant sur le lac Dal de
Srinagar, capitale du Cachemire, s’élève le lacis de maisons souvent en bois
ouvragé de la vieille ville, avec ses marchés, ses petits artisans et ses
fumeurs de narguilés. C’est là que vit Aziz, le soufi guérisseur et créateur de
tapis.
Ses talents de guérisseur
Les rues n’ayant la plupart du
temps pas de nom et les maisons pas de numéros, les ruelles étant trop étroites
pour s’y engager en voitures ou en rick shaws, c’est à pied que se découvre la
vieille ville. Si l’on veut se rendre à une adresse précise, mieux vaut se
faire accompagner. Au détour d’une ruelle, dans une étroite maison de brique et
de bois ornée d’un maigre jardin servant de potager vivent Aziz le guérisseur,
sa femme et ses deux filles. Une foule d’une dizaine de personnes s’entasse
déjà dans le corridor précédant la salle de consultation servant aussi de salon
et de salle à manger – il y a peu de meubles dans les intérieurs kashmiris, on
s’assied sur des coussins, on mange et on dort par terre. Une gamine a un gros
pansement sur le front, un homme la joue gonflée par une mauvaise dent. Tous
ont davantage confiance dans les talents d’Aziz que dans ceux des médecins d’un
hôpital qui gagnerait à être plus propre. Ils attendent patiemment leur tour.
Fatima, l’épouse d’Aziz, introduit l’homme qui a mal aux dents tout en
renouvelant l’eau de la théière et les sablés qu’elle a confectionnés – offrir
du thé fait partie de l’hospitalité.
Ambiance dans la vieille ville |
La vieille ville |
Dans une boutique de draps |
Burkas dans la vieille ville |
La salle est rigoureusement
propre et repeinte de frais. Aziz est un homme de 62 ans originaire du Pakistan.
Il fut initié au soufisme par son maître resté à Lahore, trop âgé pour le
suivre à Srinagar lors de la partition de ce pays et de l’Inde, qui déplaça des
millions de personnes. Comme tous les religieux, il est vêtu de blanc, le petit
bonnet des hommes pieux vissé sur le crâne. Quand son patient vient s’asseoir
sur ses talons devant lui, il ne lève pas le nez du Coran qu’il est entrain de
lire, sa main égrenant le chapelet qu’il tient, chaque grain correspondant à
une sourate. Puis il se concentre quelques instants, yeux fermés. Ensuite, il
sourit au patient, touchant successivement son front, sa bouche et son cœur de
sa main droite en guise de salut de bienvenue. L’homme refuse les gâteaux de
Fatima mais accepte le thé.
Aziz en consultation |
Aziz en train de créer l'un de ses merveilleux tapis |
Dans une étagère située à sa
droite, contenant herbes, fioles, potions et grimoire, Aziz prend une feuille
d’eucalyptus qu’il roule en bâtonnet, la trempe dans une fiole, l’approche des
lèvres du patient, puis de l’intérieur de la bouche, la frottant sur la partie
malade. L’homme se dit tout de suite soulagé.
Aziz lui demande son nom, prénom,
lieu d’habitation, date et heure de sa naissance. Puis il consulte l’un de ses
livres, prend une feuille de papier sur laquelle il dessine douze carrés
correspondant aux douze signes du zodiaques, remplit ceux qui concerne son
malade de caractère qu’il refuse d’expliquer, sans quoi le talisman ne serait
plus valable. Il repli le papier le plus étroitement possible, choisit une
bobine de fil noir dans l’étagère et entoure le fil autour du papier de façon à
le recouvrir en entier, laissant un bout dépasser pour servir de collier. Il le
met au cou du malade en expliquant :
- J’ai insensibilité ta douleur
avec des plantes et écrit à ton cou les invocations bénéfiques correspondant à
ta naissance. Reviens me voir dans trois jours. Puis, si le mal et l’infection
sont toujours là, tu iras te faire arracher ta dent, mais j’espère ainsi la
sauver.
L’homme s’incline, remercie et
remet son obole à Fatima, un beau poulet prêt à cuire. Aziz ne fait jamais
payer ses malades, mais sa femme accepte leurs offrandes.
Qui seront fabriqués dans des ateliers voisins |
En suivant son plan de travail |
Pour créer un délicieux Arbre de Vie |
La voie du soufisme
Voie mystique de l’Islam, la plus
mystérieuse et la moins bien connue, le soufisme recherche l’amour de Dieu
grâce à l’intériorisation, la contemplation et la sagesse. Les membres de cette
organisation ésotérique certifient que Mahomet adoptait déjà cette forme de
savoir auquel il n’a initié que certains de ses disciples, parmi les meilleurs.
La voie de la sagesse suprême commande le non-attachement aux choses du monde
et le combat intérieur contre le vice. Ainsi, la Jihad, la guerre sainte prônée à tort par les terroristes au nom
d’Allah, est une erreur pour les soufis, cette guerre sainte ne devant être
qu’intérieure. On doit combattre les forces du mal qui sont en chacun de nous.
Pour se faire comprendre de leurs
fidèles, les soufis ont recours à la musique et à la danse permettant d’entrer
en transes (les derviches tourneurs), aux symboles qu’Aziz exprime si bien dans
ses tapis : l’arbre de vie ou
de connaissance représentant les progrès acquis par le sage s’adonnant à la
méditation, les portes du paradis
qui doivent s’ouvrir une à une jusqu’à Dieu, grâce à l’ascèse et à l’évocation
rythmée du nom d’Allah conduisant aussi à la transe, la montagne cosmique figurant la barrière séparant l’homme de Dieu,
qu’il faut bien sûr parvenir à gravir grâce à l’ascèse et à l’union extatique.
Cette union peut se réaliser virtuellement ou dans l’acte amoureux rapprochant
l’homme de son Créateur.
Organisé en confréries secrètes
spécialisées dans telle ou telle pratique, le soufisme s’est vite propagé en
Afrique, Moyen-Orient et Asie. Pour beaucoup, c’est l’âme de l’Islam. Pour
d’autres, c’est une hérésie qui effraie par ses pouvoirs magiques et qu’il faut
combattre. C’est pourquoi Aziz demeure discret sur son passé pakistanais et
préfère se présenter comme simple guérisseur.
Créateur de tapis montrant le chemin de la sagesse
Quand le dernier patient est
reparti, Aziz semble épuisé. Son front luit de sueur. Il se concentre de nouveau sur les pages de son coran, boit un
peu de thé, grignote quelques biscuits sur l’invite de Fatima et semble bientôt
avoir recouvré ses forces. L’après-midi, il ne consulte pas et se livre à son
passe-temps favori. Il organise en quelques coups de crayons les futurs dessins
de ces merveilleux tapis auxquels les habitants de Srinagar prêtent des pouvoirs
magiques.
- Quand on prie sur les tapis
d’Aziz, me confie Gulzar, son voisin, on ressent quelque chose de bien plus
profond que si l’on utilise un tapis ordinaire. On est alors vraiment en union
avec Dieu. C’est pourquoi chacun cherche à en acquérir.
- Lorsque j’étais plus jeune, je
tissais moi-même mes tapis, j’ai trop de patients à présent pour en avoir le
temps. Alors les voisins ont acheté des métiers. J’organise leur travail en
notant tout à l’avance et ils réalisent ainsi des tapis dont nul, même pas moi,
n’a jamais vu le dessin. C’est peut-être un peu magique…
Les tapis sont ensuite mis en
dépôt dans les diverses coopératives de la ville et chacun est payé à la vente,
sauf Aziz qui s’obstine à refuser tout argent, qu’il considère comme impur. Ses
fidèles pourvoient à ses besoins : on lui a donné sa maison et le peu
qu’elle contient, l’éducation de ses filles a été prise en charge, l’une
apprend la médecine traditionnelle, l’autre le Droit, les diverses offrandes
suffisent à la vie quotidienne... Ainsi va l’existence, chez les sages soufis.
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