L'AMOUR EN INDE

 

Fête des chars à Puri et

apprentissage amoureux à Konârak

 

Entrée du Sri Jagganath

 

Maison peinte à Puri



Les trois chars de Puri

A Puri, pendant le festival de Ratha Yatra ou Fête des Chars, en juin ou juillet selon le calendrier lunaire, le très ancien dieu local Jagannat, accompagné de sa sœur et de son frère, sont sortis en grande cérémonie de leur temple, le Sri-Jagannat interdit aux non hindouistes. On les porte sur trois gigantesques chariots jusqu’à leur résidence d’été.

 

Sur les côtes de l’Orissa, des villages de pêcheurs dénués de tout confort

Pélerins à Puri


Fête des chars
Village de pêcheurs de Puri





Puri est une agréable bourgade presque propre de l’Orissa, sur la côte du nord-est de l’Inde, une région encore méconnue. Pourtant, les kilomètres de plages blondes devraient attirer les touristes, à condition bien sûr que les plages soient assainies. Pour l’instant, les pauvres pêcheurs qui s’y sont établis en petits villages dans des huttes peu salubres, faites de palmes entrecroisées, n’ont qu’une seule pompe à eau par village. Ni électricité ni égout. Et, forcément, les quelques trois cents pêcheurs de chaque village n’ont que la plage pour y déverser des ordures jamais ramassées ou s’y soulager. C’est dire qu’on ne peut absolument pas se baigner dans ces abords. Pourtant, les gamins surfent avec les moyens du bord, planches ou bouts de polystyrène, sur des rouleaux géants et des petites filles parées comme des princesses jaillissent de leurs pauvres masures. En outre, le poisson n’y est jamais consommé frais, par manque d’installations frigorifiques, mais mis à sécher sur le sable, ce qui ajoute à la pestilence ambiante.


Barques à Puri
Baignades des pélerins



Les trois dieux de Puri


Si l’on fait abstraction de ces inconvénients olfactifs, la vision est paradisiaque : mer bleue déroulant ses vagues, barques de même teinte, huttes pouvant, de loin, paraître issues d’un village du Club Med. Ce qui fait tout oublier est l’accueil charmant des habitants, qui invitent à entrer chez eux boire un chai, thé indien sucré et aromatisé, déguster un chapati, crêpe de froment, ou un samosa, petit beignet fourré de viandes ou légumes. Tous revêtent leurs plus beaux vêtements pour se rendre au centre ville de Puri, où a lieu ce soir le dernier jour du festival de Ratha Yatra, le plus important.

Les trois dieux, trônant dans leurs chars parés d’or et de fleurs, tractés par des centaines de pèlerins, sont revenus de leur résidence de Gundicha Mandir, à trois kilomètres de là, pour retrouver leur temple de Sri-Jagannath. Il suffit d’entendre les chars rouler sur les cailloux ou mieux, de les toucher, pour être assuré de stopper la Roue de la Vie et le cycle des réincarnations. On accède ainsi directement au nirvâna, la paix céleste. C’est dire que l’enjeu est primordial pour tout hindou !

 

Puri, une bourgade aux délicieuses maisons peintes

Les pèlerins touchent les pierre du temples


Le Temple du Soleil de Konarak figure un char
L'une des célèbres 24 roues





            Puri, petite ville assoupie au bord de la mer, ne revit que le temps des festivals. Il y en a deux par an : le Chandan Yatra en avril-mai, une fête vishnouïste durant laquelle l’effigie de Vishnou est transportée en barque sur le lac sacré de Narendra, pour se rafraîchir dans ses eaux parfumées de santal, et celle des Chars, qui connaîtra son point culminant cette nuit, quand les dieux retrouveront leurs temples. En attendant, la foule se presse devant le Sri-Jagannath, qui m’est malheureusement interdit, ainsi ce jour-là que les terrasses qui le bordent. Impossible donc de jeter un coup d’œil à ses innombrables sanctuaires et à ses 752 fours jamais éteints depuis son inauguration au XII è siècle et capables de faire cuire 200 000 repas par jour. La plus grande cuisine du monde, dit-on.

            Il fait près de 40° dans la bourgade, une chaleur si humide que tous les fronts ruissellent. Pas un occidental pour admirer ces trois lourds chars si décorés de guirlandes dorées ou fleuries qu’on n’en voit pas l’intérieur. Chacun transporte pourtant son dieu. Quantité de brahmanes en pagnes oranges, plutôt abrutis par la chaleur, y somnolent avec une décontraction toute indienne. Cela n’entame pas l’enthousiasme de la foule. Chacun s’efforce de toucher au moins l’un des trois chars dans une cohue bon enfant. Le salut dans l’autre monde reste à ce prix.

            Certains pèlerins, plus sages ou déjà comblés par les trois dieux, papotent à l’écart de la foule, s’arrachent des boissons fraîches, mais pas d’alcool ni de viande durant une fête religieuse, cherchent un coin d’ombre sur le seuil de ravissantes maisons peintes pour y dormir avant les festivités du soir.

            Puis la foule s’écoule lentement vers la rive, devant l’hôtel Mayfair où la plage est propre et bien entretenue. Des familles entières jouent parmi les vagues, riant de se faire renverser par les rouleaux. Les femmes entrent dans la mer toutes habillées, sans se soucier de leurs rutilants saris brodés d’or. Dans l’ensemble, les Indiens nagent fort mal et les secouristes de l’hôtel, armés de grandes bouées, restent vigilants.

            Quand la nuit tombe sur Puri, une forêt de lumières et de guirlandes rivalisent avec les étoiles. La foule est devenue très dense, plus d’un million de pèlerins, dit-on. La police a été mobilisée, les rues barrées. La seule approche du temple se fait au pas par l’avenue principale, après une marche éreintante, au coude à coude, de deux bons kilomètres. Les brahmanes hurlent des prières incompréhensibles que les pèlerins reprennent en cœur, bras droit levé. Je m’applique à les imiter,  en m’empêtrant un peu dans les paroles, mais ma bonne volonté me vaut bien des copains et copines. Des fenêtres des balcons jaillissent des jets d’eau rafraîchissants. Ces milliers de pèlerins doivent tous faire le tour des trois chars en touchant si possible chacun des trois. Autant dire que cela prendra des heures avant que Jagannath et sa famille retrouvent leurs pénates…

            Tout le monde achète leurs effigies, assez moches à vrai dire…

 

A Konàrak, un chariot de pierre pour enseigner l’amour

Un jeu érotique à trois
Les sculptures érotiques du temple

Détail d'une sculpture, une fellation





            «Ici, le langage des pierres est plus puissant que celui des hommes », disait l’écrivain indien Rabindranath Tagore en évoquant ce char de pierre édifié au XIII è siècle par le roi Narasimhadeva pour honorer Surya, le dieu du Soleil. Le temple reproduit très exactement la forme des chars de Puri – il y en a aussi dans les villages des environs, mais les plus prisés des pèlerins restent ceux de Puri. La base du temple forme un vrai char équipé de 24 roues de pierre de trois mètres de diamètre chacune. Tout le temple est délicatement sculpté, surtout sa base, que l’on peut donc admirer de près.

            C’est un étonnant spectacle que de contempler ces femmes et ces jeunes filles indiennes, venues ici en pèlerinage, prudes par tradition familiale, regarder avec ahurissement une fellation, un cunnilingus, une partie à trois, quatre, cinq ou plus, les animaux copulant aussi allègrement que les hommes. Le moindre guide, gamin ou sage vénérable, s’échauffe d’ailleurs bien vite en commentant les sculptures ciselées avec une telle beauté que le temple est aujourd’hui Patrimoine mondial de l’Unesco.

On s’est longtemps demandé pourquoi le roi avait commandé aux sculpteurs un tel délire érotique. Puis on a pensé, bien sûr, à une nouvelle illustration du Kama-Sutra.

 

Le Kama-Sutra, science de l’amour et science de la vie

            Vers le IV è siècle, sur les ghâts ou marches du Gange, à Vârânâsi, la ville ou l’on va pour mourir (Bénarès), le sage Vatsayayana a écrit ce Kama-Sutra ou science de l’amour. Le texte, rédigé en sanscrit, la langue sacrée de l’Inde, comporte quelques deux mille deux cent cinquante slokas ou versets. Comme le dit l’auteur, il ne s’agissait pas seulement d’énumérer et expliquer les 64 fameuses positions amoureuses :

            « Quelqu’un qui connaît les vrais fondements de cette science, préserver sa vertu (dharma), sa richesse (artha) et ses jouissances sensuelles (kama), et respecte les coutumes de son peuple, est assuré de parvenir à la maîtrise de ses sens. En bref, une personne intelligente et avisée, se préoccupant correctement du dharma, de l’artha et du kama, sans devenir l’esclave de ses passions, obtiendra le succès dans tout ce qu’elle pourra entreprendre. »

            Connaissance approfondie de la science amoureuse, certes, et la visite du Temple du Soleil y contribue largement, mais pour éviter de se trouver assujetti à ses sens.

           

Partout sur le Temple du Soleil, l’éveil de la kundalini

Eveil de la Kundalini

Détail d'une roue

Eveil de la Kundalini par le Kama-Sutra




            On peut aussi penser que le roi bâtisseur, tout en connaissant fort bien l’œuvre de Vatsayayana, avait aussi d’autres savoirs. Parmi le foisonnement des sculptures de son sanctuaire, chaque étreinte, chaque posture sexuelle, chaque jeu amoureux est suivi d’une représentation d’un serpent. Enlacé au couple ou au dieu présidant à l’acte, il se déploie vers la tête des partenaires pour former parfois une vraie coupole de serpents. Bien des dieux du panthéon indien et même le Bouddha sont souvent ainsi représentés. Ce serpent n’est autre que la kundalini, une représentation tantrique de l’éveil du désir atteignant une dimension cosmique. Le Temple du Soleil célèbrerait donc surtout le Tantrisme.

            Le Tantrisme est la science des tantras, mot sanscrit signifiant trame, filet et par extension tout ce qui développe la compréhension, en particulier d’une sexualité cosmique. En effet, pour les hindous, l’univers entier est engendré par le jeu sexuel de la déesse Shakti, pénétrée par l’invisible Shiva. Le monde étant né du désir, il ne convient pas pour les tantrikas hindous, les adeptes du Tantrisme, de réfréner les leurs, mais de réorienter leur énergie. Ainsi, dans les pratiques tantriques, le novice doit être « chargé » des pouvoirs de la divinité qu’il invoque par l’union sexuelle avec un partenaire déjà initié du sexe opposé. Ensuite, bien sûr, l’enseignement se complique… On prétend qu’un tantrika particulièrement doué devrait pouvoir, en une nuit, s’unir à 108 femmes…

            En éveillant par la pratique sexuelle bien dirigée le serpent, la kundalini lovée à la base de la colonne vertébrale, on la fait remonter jusqu’au sommet de la tête, puis au-delà, de chakra en chakra (roues toujours, points du corps concentrant les énergies). Le tantrika recrée ainsi en lui l’union de Shakti et de Shiva, tout en retenant sa semence pour produire le bindu ou semence d’énergie. Plaisir ineffable…

Le problème est que cette science tantrique du plaisir ne peut être apprise qu’avec un maître lui-même déjà initié. Ne reste qu’à le trouver…

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