Propos d'écrivain
La Saint-Valentin et l’art de l’attente
Jolie coutume que celle de cette Saint-Valentin, depuis le Moyen-Age fête des amoureux. En fait, l’église catholique s’était contentée, comme souvent, de reprendre une antique célébration romaine vouée au culte de l’amour et de la fertilité. Sur le calendrier, elle correspondait à celle de la Saint-Valentin, célébrée le 24 février – il s’agit en réalité de trois martyres chrétiens fêtés le même jour. Depuis lors, il est de mise qu’un couple amoureux s’offre de petits présents, s’invite à passer ensemble un week-end ou une soirée de rêve. Qui dit Amour dit aussi culte d’Eros et art érotique. Et Tintine d’abandonner à regret ses meurtres en série pour dire le meilleur d’un amour. Le temps de l’attente.
« Temps de l’attente, de l’attention, de la crainte délicieuse. Meilleur moment d’un amour. Temps de la séduction et du paraître, quand on ne se voit que dans le regard de l’autre. Quand on redoute la moindre fausse note. Du moins est-ce le comportement féminin…
Enfin, Laure se résout à signaler sa présence en ouvrant la porte du mini bar.
- Comme vous ne vouliez rien boire, j’ai tout remis au frais. Je vous propose ce jus de mangue relevé d’une pointe de vodka pour corser les choses.
- Eh bien, corsons !
Il prend l’un des deux verres qu’elle lui tend. Puis il pioche une poignée de cerises gorgées de soleil et les tient au-dessus d’elle, pour qu’elle les happe. Ils trinquent. Adoucie par la mangue, la vodka cache ses effets, mais tous deux ont envie de se laisser emporter par une griserie légère, en ce moment privilégié.
Toujours, Laure a eu l’impression que ces petits instants de bonheur restaient des moments volés. Jamais, elle n’a su croire au bonheur et se dit qu’elle n’est probablement pas douée pour ça. Cette fois, elle se défend de penser trop loin pour se laisser porter par les circonstances. Ne rien prévoir. Ne rien décider. Lui laisser l’initiative, alors qu’elle a sans cesse voulu mener et contrôler sa vie. En cet instant, elle ne souhaite que le plaisir de Shan.
- Que puis-je faire pour vous, juste maintenant ? lui demande-t-il.
Elle lui sait gré de ne rien hâter, de se délecter aussi de l’attente en ne se souciant que d’elle.
- Un massage de pieds à la tibétaine ?
- Je crains de n’être incompétent, mais je peux toujours essayer.
- Il y a un flacon de lait d’amande sur le bord du lavabo.
Avec un soupir d’aise, elle s’allonge sur le canapé – le lit aurait été un choix peu subtil. Peignoir sagement fermé, jambes étendues, elle mordille une cerise puis goûte sa boisson. Tandis que Debussy continue de dérouler ses vagues, elle savoure l’instant. Shan est beau, mais elle n’est pas certaine de souhaiter faire l’amour avec lui.
Elle se sent trop bien.
Il revient avec le lait, se penche sur elle et, tout doucement, avec un excès de précautions, verse la crème sur ses pieds, ses chevilles et mollets. Ses mains se font tendres et expertes pour prendre lentement possession de sa peau. Elles l’effleurent, d’abord, puis la pétrissent plus fermement. Assis contre elle, Shan guette son approbation et cette façon d’explorer avec assurance ses pieds et ses jambes lui paraît soudain plus intime, plus érotique qu’une étreinte.
La main remonte un peu et le massage commence à ressembler à une caresse. Laure aussi a envie de connaître cette peau d’un grain foncé contrastant si bien avec la teinte neigeuse du peignoir. Qui serait d’un si bel effet contre la sienne. Sa main effleure la nuque de Shan. Ses ongles courent lentement sur sa chair, mais elle résiste à la tentation d’y enfoncer ses griffes. Tout doit, pour l’instant, n’être que douceur.
- Je vais faire des bêtises, dit-il avec un petit rire.
Sans répondre, elle l’attire à elle. Il pose ses lèvres sur sa joue et veut se relever, mais elle est plus vive que lui. Tournant la tête, c’est sa bouche qu’elle lui offre et le baiser s’enfièvre. Laure a l’impression de fondre sous cette bouche. Sa chaleur humide l’attire comme un vertige. Avec ses mystères et ses promesses. Shan ne prolonge pourtant pas le baiser et se relève en prononçant ces paroles étranges :
- Il vaut mieux que je vous laisse à présent. Merci pour les cerises et la vodka à la mangue.
Pendant qu’il ouvre la porte, elle le rejoint et reprend le baiser interrompu qui se charge, cette fois, de violence. Presque de férocité. Il la plaque à lui et le baiser les emporte. Encore une fois, c’est lui qui l’arrête, comme s’il reprenait rudement le contrôle d’une force ayant failli les submerger.
- Je m’en vais, dit-il alors qu’elle attend d’autres mots.
- Un papillon qui butine les femmes et ne s’attarde pas. Je vous ai observé durant cette soirée de gala. C’est vrai que vous butinez les femmes. Pour votre seul plaisir ? Je ne sais pas… Au revoir, papillon.
Il lui sourit. Un désarmant sourire qui s’offre ou se reprend, elle l’ignore, puis il ferme doucement la porte sans qu’elle essaie de le retenir. Ils sont après tout presque prisonniers de cette ville dans la ville. Même si tout y est monstrueux, surhumain, ils se croiseront forcément, un jour ou l’autre.
A présent, elle doit effectuer son travail de journaliste et explorer les coins pittoresques de Singapour, China Town et Little India, les quartiers encore épargnés par le futurisme de l’immense cité. Elle aura aussi un autre but. Elle sera occupée à l’attendre. »
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