ART ET MUSE
Catalogne : le triangle de Dali
Si on prend la carte de la Catalogne, on voit que les
trois lieux privilégiés de Salvator Dali, Cadaquès où il passe ses vacances en
famille dès sa prime enfance, Figueres où il conçoit « son » musée et
Pùbol où se situe le château qu’il offre à Gala, sa femme et principale égérie,
forment en effet un triangle parfait. La Catalogne, avec ses vents furieux
sculptant les montagnes et dégageant des ciels presque diaphanes, sa mer si
bleue ombrée de rochers et ses plaines alanguies au soleil, son goût pour la
liberté est en effet le paradis de Dali et sa principale source d’inspiration.
Une paisible crique près de Cadaquès |
Trois maisons de pêcheurs accolées les unes aux autres |
Vue de la crique derrière le pigeonnier aux fourches |
Une piscine bien sûr extravagante |
Enfance aisée entre Figueres et Cadaqués
Excentrique, provocateur,
pantomime génial faisant de chacune de ses apparitions un spectacle, Salvador
Dali se devait de contredire aussi le mythe du peintre famélique né dans une
mansarde. Dans La vie secrète de Salvador
Dali, une autobiographie soigneusement maquillée par ses soins, Dali
prolonge la vie de son frère aîné jusqu’à l’âge de sept ans et accuse ses
parents de lui avoir donné le même prénom. Dans la réalité, ce frère n’a vécu
que vingt-deux mois et Dali a aussi une sœur de quatre ans sa cadette, Anna
Maria, qui lui sert de modèle jusqu’à sa brouille avec sa famille.
Il est donc né le 11 mai 1904, à
l’entresol du 20, rue Monturiol (aujourd’hui le 6), dans une riche famille de
notaire. Ses parents, attentifs à satisfaire ses goûts, l’inscrivent dès l’âge
de six ans à l’Ecole de dessin de monsieur Nunez, un professeur que Dali adore
et qui lui conseille de bonne heure de tout abandonner pour se consacrer à la
peinture et qui sait convaincre ses parents. Dès ses quatre ans, il passe en
famille ses étés à Cadaqués, dans une étable restaurée, trop petite pour y
installer un atelier. Son père lui loue plus tard un studio à la pointe de
Pampà.
Inlassablement, le peintre en
couvre les murs de toiles figurant les petits ports du coin et leurs barques
multicolores, les villages perchés, les oliviers couronnant « les fronts
philosophiques des collines, ridées par des crevasses », comme il se plaît
à le dire. Il peint aussi le Cap de Creus, dont « les falaises
paranoïaques sont les plus mortes du monde ».
Peu à peu, Cadaqués devient un
endroit à la mode attirant des personnalités telles que Federico Garcia Lorca,
Luis Bunuel ou Paul Eluard, venu avec sa femme Gala et leur fille Cécile durant
l’été 1929. Bunuel loge chez les Dali et propose au peintre de travailler avec
lui sur ses scénarii. Mais dès que
Salvador aperçoit Gala en maillot de bain sur la plage d’El Llaner, il en
demeure ébloui et ne pense plus qu’à elle, lui faisant bientôt une cour éperdue
qui effraie d’abord la jeune femme russe (elle a dix ans de plus que lui, est
mariée et mère de famille).
La légende voudrait que l’idylle
avec Gala soit à l’origine de la brouille familiale, mais il n’en est rien.
Dali, pressé de retrouver sa muse à Paris, où elle est partie rejoindre son
mari, y organise une exposition dès novembre. Sur le tableau intitulé Le sacré-cœur, Dali écrit cette phrase
terrible : « Parfois, je crache par PLAISIR sur le portrait de ma
mère ».
Son père l’apprend et ne lui
pardonne pas, comme il le lui signifie dans une lettre. Seule réponse de
Dali : se tondre le crâne, enterrer ses cheveux en grande cérémonie sur la
même plage et se représenter ainsi, un oursin sur la tête. Le notaire pousse
loin la vengeance, interdisant aux propriétaires de la région de louer ou de
vendre la moindre bicoque au fils indigne…
Refuge à Portlligat
Réfugié à Paris auprès de sa
belle, Dali regrette sa Catalogne et ne pense plus qu’à la maisonnette de la
baie de Portlligat où il a laissé son matériel de peinture. Crique à la rondeur
parfaite fermée par l’île de Sa Farinera, rivage vierge seulement utilisé par
quelques pêcheurs, Portlligat est le refuge auquel Dali aspire, pas trop loin
pourtant de Cadaqués et de sa notoriété… Il contacte alors la propriétaire de
la baraque, Lidia, pêcheuse illuminée que le notaire n’impressionne pas. Elle
lui vend terrain et tanière qu’elle promet de rendre habitable, mais le décor
reste spartiate. Pas de route, pas d’électricité, eau potable à pomper au
puits, une pièce unique. Cette première maison est suivie d’une deuxième
achetée deux ans plus tard, puis d’une autre, encore une autre. Jusqu’à sept
maisons de pêcheurs juxtaposées pour former une unique villa au fur et à mesure
de la venue du succès. « Je ne suis chez moi qu’ici, affirme Dali, partout
ailleurs, je ne suis que de passage. » Dans son atelier, il travaille
comme un forcené, au son des lectures que lui fait Gala…
Devenue une Maison-Musée, la
villa est un vrai labyrinthe comprenant « un peu de tout », selon son
expression. Surréalisme, classicisme, style kitsch délirant. On y est accueilli
par un ours mangé aux mites. Suivent salle à manger aux chaises de différentes
hauteurs, bibliothèque aux innombrables volumes que Dali a tous lus, spacieux
atelier donnant sur la baie de Portlligat, Chambre des Modèles (souvent des
plâtres), Salle Ovale, espace intime de Gala et son sanctuaire. A l’extérieur,
la charmante Voie Lactée permet d’accéder à la plage et le patio de recevoir
les amis pour boire et déguster les homards des pêcheurs, mais ils ne restent
jamais dormir. La piscine est bien sûr phallique, surmontée d’une plaisante
oliveraie d’où la vue est splendide sur la mer et habitée par un curieux Christ des poubelles, fait à partir de
rebuts de toute sorte. Le blanc Colombier des Fourches est surmonté d’un oeuf
gigantesque, motif souvent repris par Dali.
Le visiteur est tout d’abord
abasourdi par un tel dédalle, l’accumulation des objets, animaux empaillés,
bouquets d’immortelles chères à Gala, puis conquis par la paix presque mystique
se dégageant de ce lieu au charme un peu vénéneux. Comme le proclamait
Dali : « Le mauvais goût est ce qu’il y a de plus créatif. Le bon
goût, qui est tout ce qui est français, est stérile. »
Permanente représentation au Théâtre-Musée
Un ancien théâtre métamorphose en musée Dali |
Dans le musée, la même Roll's qu'Al Capone |
Le bateau de Gala dégoulinant de préservatifs |
Le visage de Beethoven apparaissant sous les graffitis |
C’est en mai 1961 que Dali
exprime au maire de Figueres son désir de faire de l’ancien théâtre municipal
de la ville incendié durant la guerre civile un extraordinaire sanctuaire…
dédié bien sûr à sa propre gloire – on n’est jamais mieux servi que par
soi-même ! Il lui faut dix ans pour convaincre la Direction des Beaux-Arts
de Madrid de financer le projet. Principale exigence de Madrid : que Dali
offre à sa ville des œuvres originales. La discussion est ardue. Dali promet de
peindre le plafond du Palais du Vent et les travaux peuvent commencer en
octobre 1973.
Toujours aussi opposé à l’ordre
français et à ses angles droits, Dali charge l’architecte Emilio Pérez Pinero
de couronner le bâtiment d’une structure de verre et d’acier en forme de géode.
On introduit dans la fosse de l’orchestre une Cadillac pluvieuse semblable à celle de Bonnie and Clyde, flanquée
d’une opulente statue offerte par Ernst Fuchs et surmontée par le bateau jaune
de Gala laissant s’égoutter l’eau de mer représentée par des préservatifs. Sous
la coupole, dans la partie autrefois réservée aux acteurs, Dali installe ses
principales toiles en trompe-l’œil, un visage apparaissant entre motifs
abstraits ou représentation de pixels colorés. A noter qu’il n’a jamais donné
de nom à aucune de ses œuvres…
Dans la Salle Mae West, une
combinaison de perruques, tableaux pointillistes, narines et sofa figurant les
lèvres de l’actrice permet d’apercevoir son visage en son entier du haut d’un
petit observatoire. Pour la plus grande joie des enfants…
Pour Dali, ce musée inauguré en
grande pompe, à peine fini, le 28 septembre 1974, ne doit pas être figé mais
demeurer un work in process. Ce que
prouve l’artiste en y adjoignant neuf ans plus tard la maison voisine, la Casa
Gorgot comprenant la Torre Galatea où il habite parfois.
Déclamation de l’amour courtois au château de Pubol
Portlligat comme Fueres se
situent dans le Haut Ampourdan, mais entre la sierra des Gavarres et le massif
du Montgri s’insère un paysage moins rude, le Bas Ampourdan. C’est d’ailleurs
là, à l’ermitage des Anges, que Dali et Gala se marient en grand secret le 8
août 1958. Curieux contraste pour ce cabotin génial aimant tant la publicité.
Le trône de Gala |
Le patio Renaissance |
Dix ans plus tard, âgée alors de
74 ans et lasse du tapage escortant toujours son grand homme, Gala lui fait
part de son désir de se retirer au calme dans cette région. Dali, enthousiaste,
lui promet un palais. Le journaliste Eric Sabater qui deviendra plus tard leur
secrétaire privé découvre en avion le lieu idéal : un petit château du XIV
è siècle en fort mauvais état, accolé à l’église médiévale de San Pere de
Pubol. Les propriétaires permettent au couple de commencer les travaux avant
même la signature de l’acte d’achat.
A l’opposé de la délirante villa
de Portlligat, le château de Gala, plus sobre et plus austère, reflète le
caractère de sa propriétaire. Dali, qui a comme toujours une idée à la minute,
ne peut se laisser complètement aller à ses fantaisies. C’est une demeure
majestueuse dédiée à « la reine Gala », avec salle du trône, emblèmes
ésotériques, trompe-l’œil et hommages dédiés à sa muse. Le plus spectaculaire
est sans doute Le chemin de Pubol (nom
donné plus tard à la toile) où l’on voit Gala en marin et représentée comme un
double sur le drapeau émergeant de la forteresse dominant la plaine de Pubol.
Au loin, dans les nuages, apparaissent les coupoles d’une église, russe bien
sûr.
Pour visiter Gala à Pubol, même
Dali doit exhiber son carton d’invitation.
Chambre royale de Gala |
L'un des éléphants du jardin |
Fin du couple et début du mythe
Ce n’est pourtant pas à Pubol,
mais à Portlligat que Gala s’éteint le 10 juin 1982. Dali fait embaumer le
corps et l’ensevelit dans sa robe rouge signée Christian Dior, en la crypte de
Pubol. Portlligat lui rappelant de trop tristes souvenirs, il s’installe dans
le château de Gala, peignant presque dans l’obscurité, face au buste de sa
femme, ne se nourrissant que de sorbets à la menthe et s’affaiblissant
dangereusement, contemplant parfois les plus belles robes de Gala, signées de
Christian Dior, Elisabeth Arden ou Pierre Cardin, élégants fantômes de sa muse
continuant de parader au grenier.
Après avoir provoqué un incendie
accidentel dans la chambre de Gala en voulant sonner son infirmière, Dali est
hospitalisé. Refusant de revoir le château de Pubol, il s’installe ensuite à
Figueres, dans le dépendances de la Torre Galatea. C’est là qu’il meurt le 23
janvier 1989, après avoir doté son Théâtre-Musée de sa teinte écarlate et de
ses pains disposés en quinconce, puis coiffé terrasses et créneaux de ses
fameux œufs. Il repose à présent dans son Théâtre-Musée et la tombe qu’il a
fait construire à Pubol, près de celle de Gala, reste toujours vide…
Commentaires
Enregistrer un commentaire