Un mariage chez les Berbères troglodytes de Matmata
Il n'y a que des Berbères au marché de Matmata |
Leurs beaux voiles de reines sont retenus par des fibules d'argent |
Les Romains les nommaient « barbares »
Le mot « berbère » est
une déformation de « barbare », terme employé par les Romains pour
désigner tout ce qui ne leur ressemblait pas. Si aujourd’hui toute la Tunisie
parle arabe et français, comme l’a voulu le président Bourguiba, si le pays est
musulman, la religion restant séparée de l’Etat, les Berbères des contrées
montagneuses de l’ouest ou des régions arides du sud ont gardé leur
spécificité. Les femmes ne se voilent pas. Elles sont vêtues des beaux tissages
colorés qu’elles font elles-mêmes et qui sont retenus par des fibules, lourdes
broches d’argent. Les Berbères tunisiens pratiquent depuis le Moyen-Age une
doctrine « démocratique » différente de celle des sunnites et
conservent des expressions de leur ancienne langue. Enfin, dans cette région de
Matmata située non loin du Golfe de Gabès, aux portes du désert, nombre
d’habitants préfèrent encore leurs belles maisons troglodytes aux cubes de
béton que leur ont édifiés le Gouvernement à la Nouvelle Matmata, à quinze
kilomètres de leurs arides collines.
Si la vieille Matmata est devenue
très touristique depuis que George Lucas a choisi d’y tourner Star Wars en 1976, hors saison, les
habitants acceptent volontiers de vous faire les honneurs de leurs curieuses
maisons sous terre. Avec de la chance, vous pourrez peut-être assister à un
mariage.
Si ce n'était la chaux immaculée des murs, on ne croirait jamais ces grottes habitées |
Aïda vivra avec son époux et ses beaux-parents dans cette curieuse maison troglodyte |
Les pièces creusées dans la roche s'organisent autour d'un patio à ciel ouvert |
A Matmata, mieux vaut creuser que bâtir
Le sol argileux de Matmata, qui
s’effondrait à chaque saison des pluies, a incité ses habitants à creuser
plutôt qu’à construire. Autre avantage, en cas de conflits avec les tribus
voisines, les entrées de leurs maisons souterraines étaient faciles à camoufler
à l’aide de branchages. Les plus anciennes habitations datent au moins du XVIII
è siècle. Elles sont creusées à flanc de colline. On y accède par un corridor
étroit débouchant sur un patio à l’air libre. Toutes les pièces donnent sur ce
patio, de plain-pied ou sur deux étages : réserves à nourriture, cuisine,
salle à manger, chambres. On peut agrandir l’habitation à volonté et elle jouit
toute l’année d’une température tempérée, fraîche en été, tiède en hiver. Pour
que les pluies ne se déversent pas dans la cour centrale, un système de
canalisations dirige l’eau vers une citerne enterrée, à l’entrée de la maison.
Sur ces collines pelées, les
habitants vivent de peu : les cactus donnent les précieuses figues de
barbarie et nourrissent les troupeaux de moutons ou de biquettes, un dromadaire
si l’on est riche, des céréales dans les creux plus fertiles, le travail du
tissage pour les femmes habille la famille. Depuis dix ans, le vieux Matmata a
l’électricité et la piste a été goudronnée. Pas de souk, de café, d’école ou de
mosquée ici, mais à la Nouvelle Matmata.
La future chambre des jeunes mariés |
Et la cuisine commune, à présent électrifiée |
Les droits de la femme
Si la Constitution promulguée par
Bouguiba, toujours lui, assure la parité entre hommes et femmes pour les études
et les salaires, si la polygamie a été interdite, le divorce autorisé et même
le contrôle des naissances et l’avortement dans certains cas, si les époux se
choisissent librement, la cérémonie reste une affaire familiale. Tout se passe
au domicile de la mariée, mais de plus en plus souvent, les deux familles
partagent les frais. La fête peut durer une pleine semaine. La mariée s’occupe
des meubles et de son trousseau, le marié offre les bijoux, ce qui n’est pas
forcément la part la moins importante. L’imam bénit les fiancés en une
cérémonie aussi courte que privée, puis c’est la présentation des fiancés aux
familles, la réception des invités qui apportent leurs cadeaux, les banquets,
les danses et la musique.
Les voisines aident à cuire le pain en plein air |
Les femmes se parent de henné |
Le mariage d’Ali et d’Aïda
Ali et Aïda travaillent dans
l’hôtellerie, un bon travail, même s’il n’assure pas de salaire toute l’année,
bien des hôtels fermant de novembre à mars. Ali est serveur, Aïda femme de
chambre. Ils se sont connus sur leur lieu de travail, à Hammamet. Ils
voudraient à présent se rapprocher de leurs familles, pour quand ils auront des
enfants – ils en voudraient deux, la moyenne nationale. L’île de Djerba n’est
pas loin, où les hôtels pullulent. La famille d’Aïda fait partie de la douzaine
de familles habitant encore le Vieux Matmata, celle d’Ali a émigré voici dix
ans dans la ville nouvelle. Durant leur temps libre, avec l’aide des frères,
cousins ou voisins, ils comptent édifier leur propre maison, avec eau courante.
Pour respecter la tradition, le
temps du mariage, on a dressé plusieurs tentes sur le terre plain servant de
place au vieux village, le patio des parents d’Aïda étant trop exigu pour
accueillir la cinquantaine de convives que l’on attend. Depuis trois jours, sa
mère et sa tante, aidées des voisins, ont moulu le grain et cuit les pains, mis
à rôtir trois moutons, fait mijoter l’odorante chakchouka, le ragoût qui demande des heures de cuisson et que les
Berbères préfèrent en général au couscous, fait frire le kaftaji fait de tous les légumes que l’on peut trouver et bien sûr
passé au four les si savoureux gâteaux tunisiens, baklawa, ghareiba ou
autres samsa, sans oublier les
fameuses cornes de gazelles fourrées de sésame et d’amandes.
Le festin aura lieu dans la gargote du village où la mère et la tante de la mariée accueillent les invités |
Arrivent le cortège de la mariée, les musiciens et les danseuses |
Puis paraît la mariée, à dos ce chameau pour respecter la tradition |
Ali a tenu à arriver à cheval et
Aïda à dos de dromadaire, comme on le faisait autrefois, toute vêtue de blanc,
accompagnée d’une cohorte de musiciens et de danseuses, ses demoiselles
d’honneur, dirions-nous. Ce n’est qu’ensuite qu’elle revêtira la chatoyante
robe berbère.
Sa mère et sa tante, deux bonnes
vivantes aux sourires éclatants, reçoivent les invités et ne craignent pas
d’esquisser à leur tour un pas de danse. C’est la fête, pour une pleine
semaine !
Le nouveau couple, Ali et son cheval |
Aïda revêtue de sesz vêtements berbères, qui reçoit sous sa tente |
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