EXOTISME : AU ROYAUME DE RATATOUILLE

Bikaner et le temple des rats

Sieste en famille chez les nomades du Thar
Gamins dévalant une dune
 dans le désert du Thar

Bikaner, la ville jaillie du désert du Thar
Ce fut au XV è siècle que le rao Jodha, maharaja de Jodhpur, confia une armée à son turbulent fils Bika pour l’occuper en pacifiant les belliqueux nomades du Thar qui menaçait son propre royaume et fonder, où il n’y avait que sable, une ville et un Etat. Les travaux allèrent bon train. Bika ne se contenta pas de régner sur un palais et quelques arpents de sable, il voulut aussi rendre fertiles les terres arides que lui abandonna son père. Il multiplia puits, barrages et canaux jusqu’à faire un Eden enchanté de cette partie du désert du Thar. Il y attira commerçants et artisans. Les caravanes de la Route de la Soie et des Epices, enchantées de pouvoir y trouver caravansérails, eau et vivres, firent désormais un crochet par Bikaner, la ville de Bika, avant de continuer leur chemin vers le nord et l’est.

Junagarth Forth et son oasis créés par le prince Bika

Détail du palais de grès rose et marbre blanc
Un siècle plus tard, l’un des descendants de Bika, le raja Rai Singh, un allié d’Akbar le Très Grand, le plus célèbre des empereurs moghols venus de Turquie, eut à cœur de peaufiner l’œuvre de son ancêtre. Il bâtit Junagarth. De siècle en siècle, cette formidable forteresse du Junagarth Fort, couleur de sable, se trouva dotée de nouvelles cours, palais et temples jusqu’à devenir ce prodigieux labyrinthe de grès rose et de marbre blanc qu’elle est toujours.
La mode architecturale en Inde suppose en effet que chaque nouvelle génération offre sa contribution aux palais existants, non pas en les rénovant ou en les modernisant, mais en y ajoutant une aile neuve dotée de nouveaux décors, de peintures plus somptueuses, de balcons mieux ajourés, plus aériens.

Le souvenir des princesses immolées

Empreintes des mains
 des princesses immolées
Après avoir franchi le premier porche, on pénètre sous un second, aux murs intérieurs marqués des empreintes peintes en rouge des mains des princesses défuntes. C’étaient celles des veuves que l’on obligeait jadis à suivre la coutume du « sati », l’immolation par le feu à la mort de leur époux. Les occupants britanniques ont bien sûr aboli cette barbare coutume aux XIX è siècle, mais on murmure qu’elle existerait malheureusement toujours dans des coins isolés de l’Union Indienne. 
Que reste-t-il aujourd’hui de ces pauvres princesses ? Peut-être leurs ombres hantent-elles encore le Hall d’audience du Karan Mahal, aux peintures délicates et au massif trône d’argent ? On entend comme un écho de leurs rires dans le féerique Palais des Fleurs aux fresques si précises qu’on croirait humer leur parfum. Ont-elles tremblé, un soir d’orage, dans le poétique Palais des Nuages au ciel azuré zébré d’éclairs ? Ont-elle réjoui de leurs danses la maharani en sa Chambre d’Eté et poussé la balancelle de Krishna – le Kama Sutra, le plus vieux précis d’amour connu célèbre un Art d’Aimer parfois assez acrobatique, lorsqu’il est par exemple pratiqué sur des balancelles… Un couple à demi nu est alors censé se rencontrer en plein vol et le « lingam » bien dressé de l’amant pénétrer en une seule poussée le « yoni » offert de son amoureuse…

Chambre de la maharani
A la fenêtre d'une maison de la vieille ville
Petite nomade du Thar
Un saint ascète qui aimait les rats
On dit que le rao Bika dut sa victoire sur les terribles guerriers du Thar à l’intercession d’un saint ascète qui vivait à une trentaine de kilomètres de là, vers le Sud. Il accorda sa bénédiction au prince Bika, qui promit de lui faire ériger un sanctuaire s’il revenait victorieux. Et il tint parole.
Le Temple des Rats et sa belle façade ouvragée

Le Shri Karni Mata Temple s’élève à l’endroit où priait jadis Shri Karni Mata, aujourd’hui dans une pauvre bourgade que personne ne connaîtrait s’il n’y avait ce délicieux temple aux élégants portiques de marbre blanc et aux portes d’argent finement sculptées.
Pèlerins venus honorer les rats
Peu à peu, les rats y proliférèrent. L’ascète ne les chassa pas et, depuis lors, personne ne s’y est risqué. Les villageois, épris de merveilleux comme le sont les Indiens, trouvèrent une raison à leur présence. Ils vénèrent en effet cet endroit en mémoire du saint homme, mais ils y apportent aussi chaque jour des offrandes de lait, farine, noix et fruits pour nourrir cette extraordinaire colonie de rats, bien sûr en liberté dans l’enceinte du temple, nullement farouches ou agressifs. Si les villageois se rendent ici pour les prier et les protéger, c’est parce qu’ils les considèrent comme les réincarnations de leurs propres enfants morts en bas âge. Délicieuse et poétique croyance…
Le festin des rats

Des brahmanes cuisiniers pour les servir
Une foule nombreuse se presse devant les portes d’argent. Les pèlerins sont chargés de sacs de nourriture qu’ils déposent au cœur du sanctuaire où une statue, d’argent aussi, figure le saint ascète. Il faut se déchausser pour entrer dans le temple, mais seuls les hindous peuvent s’agenouiller devant la statue. Les autres doivent se contenter de regarder, mais ils ont le droit de déambuler dans le reste du sanctuaire, photographier, nourrir et même caresser les petits rongeurs. Si on voit un rat blanc, c’est de la chance assurée pour toute une année !
Derrière le sanctuaire proprement dit s’ouvrent de vastes cuisines où les brahmanes et leurs aides font mijoter le contenu d’énormes chaudrons sur des feux d’enfer. C’est une bouillie de lait agrémentée de fruits secs et de flocons de céréales que l’on fait cuire ainsi. Le repas ordinaire d’un bébé, en somme…
Une grande cour enserre cette partie la plus sacrée du temple. Des câbles sont tendus au-dessus pour empêcher les prédateurs de s’offrir un festin de petits rongeurs. Des entrepôts pleins de farine et de sacs de blé constituent aussi les repaires de prédilection des rats, mais comme tout leur est destiné, nul ne songerait à les empêcher d’y goûter un peu plus tôt que prévu.

Au paradis de Ratatouille !

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